« Jingle bells, jingle bells… »
La petite mélodie, chantée d’une voix bien trop fluette pour un être humain, s’élevait du chemin de terre qui menait jusqu’au village voisin. Pourtant en tournant la tête à droite ou à gauche, impossible de distinguer qui que ce soit – il eut fallu baisser les yeux pour apercevoir, à ses pieds, la petite silhouette étonnante d’Emily Twinkle. Minuscule, à peine plus grosse qu’un poing, le lutin vêtu de rouge et de vert avançait gaiement, ou du moins faisait semblant. La nuit qui tombait n’avait rien de rassurant pour un être d’aussi petite taille, qui savait que les loups et autres bestioles hostiles n’allaient pas tarder à sortir de leurs fourrés. Alors elle chantait, la petite créature, elle chantait une chanson de chez elle pour exorciser la peur et tenir éloigné le mauvais sort. Elle n’en menait pas large, c’est vrai, levant ses grands yeux bleus autour d’elle d’un air inquiet. Quelle idée avait-elle donc eu de quitter la fabrique ? Elle se posait la question tous les soirs, et l’oubliait tous les matins alors que le soleil brillait sur une nouvelle journée d’aventures. Pourtant ça n’avait pas été rigolo tous les jours, ah ça non. Mais Emily avait eu la chance de tomber sur des gens qui avaient eu la bonté de la prendre sous son aile, comme ce petit garçon, Robin, ou encore ce sacré grognon de Declan.
Voyant que la lune arrivait à grands pas, elle décida de s’arrêter pour camper, trouvant refuge dans un trou de lapin inhabité et priant pour qu’aucun renard n’ait l’idée saugrenue de venir la déloger. Alors qu’elle tentait tant bien que mal de se réchauffer –il faisait drôlement froid en cette saison- en grignotant ses maigres provisions, elle se plia à son rituel de tous les soirs : elle ferma les yeux et se concentra très fort en répétant :

« Fée Bleue, j’ai besoin de toi. »

Et encore, et encore, comme une litanie. Elle n’avait pas encore été exaucée, mais peut-être était-elle trop loin ? Peut-être que d’ici la Fée Bleue ne pouvait pas encore l’entendre ? La fabrique était si loin, elle avait parcouru un tel chemin pour arriver jusqu’ici, qu’elle ne s’en étonnerait pas. Le monde était infiniment plus vaste qu’elle ne l’avait imaginé.
Soudain Emily s’immobilisa, muette. Quelque chose dans l’atmosphère avait changé, imperceptiblement, et un bruit délicat se fit entendre au-dehors. Doucement, Emily rampa jusqu’à l’entrée du terrier, passa la tête dehors… Et resta bouche bée de stupéfation.
« La fée bleue ! »
« J’entends l’écho de ta voix depuis si longtemps, petit Lutin… Mais tu étais si loin que je n’arrivais jamais à savoir où tu étais ! Je suis heureuse de t’avoir enfin trouvée ! » répondit la Fée Bleue avec un sourire.
« Tu peux m’aider alors ? Si tu es là c’est que tu peux m’aider, non ? »
« Dis moi quel est ton souhait, Emily. »
« Je veux devenir humaine ! »
« En es-tu bien sûre ? » demanda la fée après une pause. « Tu sais, les humains sont beaucoup moins heureux que les lutins. Les Hommes n’ont pas ce pouvoir d’optimisme et de joie de vivre qui vous sont propre… tu risques d’apprendre ce que c’est d’être malheureuse, triste, le désespoir… est-ce vraiment ce que tu veux ? »

Les lutins étaient joyeux, heureux, vivants, mais la fée bleue, malgré le point qu’elle avait marqué, avait oublié que les lutins étaient extrêmement têtus… surtout celle-ci. Et pour la petite Emily qui devint grande, ce fut le début d’une nouvelle aventure…