Une agréable et belle journée s'annonçait pour le cuisinier qui pourtant devait commencer très tôt pour servir les clients les plus ponctuels de chez Granny. Il y avait toujours le même type de personnes aux premières heures. Les travailleurs, qui prenaient un petit-déjeuner très consistant; les mono-parents qui avaient la garde de leurs enfants et qui ne parvenaient pas à mettre de simples céréales dans un bol de lait; les personnages âgées habituées au restaurant qui, chaque matins, prenaient exactement le même repas. Ce train de vie-là, Andrew l'appréciait. Voir du monde et donner un peu le sourire aux autres était une activité qu'il chérissait bien, sans parler du plaisir qu'il avait à confectionner de bons petits plats qui plaisaient. Il était rare que les clients rechignent après la cuisine d'Andrew. Il était assez doué dans le domaine et jamais il ne sentait la routine s'installer dans son quotidien.

Il fallait dire que le restaurant de Granny comportait son lot de surprise. L'établissement était un lieu de théâtre que les habitants de la ville animaient en permanence, avec tout autant d'émotions d'ailleurs. Les rires, les pleurs, les disputes, les réconciliations. Et puis, il y avait de sacrés personnages chez Granny, il fallait le dire ! Leroy qui ne cessait de marmonner dans sa barbe en pestant contre sa mauvaise journée qui s'annonçait; le docteur Whale qui reluquait toutes les jeunes femmes avec un regard plutôt insistant; et puis... Kwan. Ah, si vous ne le connaissez pas, vous devriez vraiment venir jeter un œil. Enfin, qui ne connait pas Kwan ? À lui seul, il réussit à attirer l'attention en un claquement de doigt, ce qu'il fit, lorsque Andrew eut le droit à sa pause déjeuner. Sans plus attendre, il somma une serveuse de lui apporter un menu... sans se soucier d'être poli ou non. Cette attitude faisait rire le jeune cuisinier qui n'hésita pas à taper doucement sur l'épaule de Kwan pour s'annoncer. « Comment vas-tu ? Tu t'es fait tout beau aujourd'hui, tu as rendez-vous ? » Andrew n'était pas sûr. Après tout, le mannequin était toujours très soigné avec lui-même. Kwan ne laissait sûrement pas de défauts s’immiscer dans ses tenues et son physique, aucun. Il en ferait peut-être une maladie, qui sait ? « Mauvaise nouvelle, je viens d'avoir ma pause déjeuner. Mais bonne nouvelle, c'est un excellent cuistot qui va préparer ton repas. » Sans se gêner, Andrew prit place à la table de Kwan.

Granny lançait un drôle de regard à Andrew. Bien qu'elle était habituée à ce que le jeune homme discute avec Kwan comme s'il était son ami, elle ne cessait de se demander comment son employé arrivait à supporter le caractère égocentrique du jeune mannequin. Et la vieille dame n'était pas la seule à se poser des questions. Les serveuses, les cuisiniers, les clients. Tous pensaient que Andrew était soit totalement à coté de la plaque, soit... attendez, non, il était à coté de la plaque, c'était sûr et certain pour eux. Mais le jeune cuisinier s'en fichait. Au lieu de se sentir outré de l'attitude de Kwan, Andrew s'en amusait. C'était après tout la façon d'être du mannequin et mieux valait-il en rire qu'en faire toute une histoire. Kwan n'était pas méchant. Il ne faisait de mal à personne, même s'il n'était pas des plus délicats lorsqu'il désirait qu'on s'occupe de lui.

Andrew s'était d'ailleurs aventuré à demander des nouvelles au client le plus mégalomane de la ville qui lui répondit sans plus attendre. Et plus Kwan parlait, plus Granny roulait des yeux. Après tout, le mannequin avait une façon unique de s'exprimer, ce qui ne manquait pas de faire rire Andrew. Il ne se moquait pas de lui, loin de là, mais Kwan était un grand marrant, l'air de rien. Alors, quand il commença à vanter son physique, le cuisinier hocha la tête comme s'il voyait exactement où il voulait en venir. « Ouais je comprends parfaitement. Tu vas tous les épater ! » Andrew lui adressa un sourire et intercepta le regard de Granny qui disait clairement "mais pourquoi tu l'entraines dans son délire ?". Que pouvait-il dire d'autre ? Kwan était sûr de lui. Au moins, il avait un but et tentait d'aller toujours plus loin dans ses objectifs.

Granny et quelques serveuses sursautèrent en entendant leur client s'adresser au cuistot qui se trouvait dans les cuisines. Puisqu'un comptoir qui servait à déposer les plats prêts donnait dans l'autre pièce, le cuisinier qui s'y trouvait entendit la demande de Kwan et ne tarda pas à soupirer. Andrew s'en amusait, en choisissant son menu également, de façon plus conventionnelle. Il était calme et s'adressait à sa collègue de travail avec gentillesse et courtoisie. Le mannequin, lui, n'en avait pas fini avec le cuistot et lui somma de ne pas mettre de légumes avec son confit de canard. Le cuisinier était d'ailleurs à deux doigts d'ajouter des morceaux de carottes mais fut coupé dans son élan. Il balança alors ce qu'il tenait dans un récipient en grommelant des jurons inaudibles sous le regard amusé d'Andrew. À croire que le jeune homme était le seul à s'être habitué aux exigences de Kwan.

Le mannequin reprit la discussion en parlant de ses derniers projets, de ce qui l'attendait dans quelques heures. Ses paroles étaient comme des grésillements désagréables aux oreilles de ceux qui l'entourait, mais Andrew l'écoutait avec attention, se fichant bien de la façon dont Kwan parler de l'argent. Il était riche ? Soit. Tant mieux pour lui. Le cuisinier n'allait pas se sentir misérable juste parce que le mannequin se réjouissait à l'idée d'être l'un des hommes les plus riches de la ville. Et Andrew ne s'attendait pas à ce que Kwan lui demande de ses nouvelles, il écoutait attentivement l'autre alors que son assiette arrivait. « Tu vas t'amuser alors, profites-en bien. » Que dire de plus ? Andrew n'allait pas parler d'argent avec Kwan. Il comptait continuer la conversation, même s'il sentait le regard de Granny lui dire d'arrêter. « C'est bientôt la St Valentin. J'imagine que tu as déjà beaucoup de prétendantes ? » Et voilà, il avait réussi à faire pester Granny qui préféra s'occuper d'un client, loin de la pièce.

L'assiette du cuisinier fut posée sur la table, mais Andrew préféra la récupérer pour éviter que les pieds de Kwan ne finissent dedans. Il tenait à son repas, qui allait lui donner l'énergie restante pour le reste de la journée. Le mannequin avait peut-être plus faim que le cuisinier qui pourtant été déjà servi. Alors, il se mit à parler à voix haute et distincte à l'adresse du cuistot. Granny roulait des yeux, les mains sur les hanches. Elle attendit qu'il eut terminé pour passer près de lui pour l'informer que le cuisinier n'était pas sourd et qu'il avait déjà entendu sa commande, en pensant à lancer un regard noir à Andrew qui riait, amusé. Il ne pouvait pas s'en empêcher, après tout, c'était comique.

Lorsque le cuisinier entama le sujet de la St.Valentin, Granny préféra s'éloigner. La réponse de Kwan fut sans appel et beaucoup de jeunes filles - qui ne l'admiraient visiblement pas - se retournèrent pour dévisager le mannequin. Si leurs yeux avaient été des fusils, Kwan n'aurait pas pu profiter des bons plats qu'on lui apportait. Andrew ne se permit pas d'insulter les femmes. Il était fiancé à l'une d'elle - bien que la situation entre les deux n'étaient plus au beau fixe - et ne partageait pas le même point de vue que le mannequin. « D'accord, alors j'imagine que la réponse est oui, tu auras beaucoup de prétendantes. » Andrew avait déjà presque terminé son repas, une simple part de tarte aux poireaux, et cherchait un sujet de discussion qui pourrait plaire à Kwan et ne pas déplaire à Granny, pour qu'elle évite de sortir un fusil de l'arrière-boutique. « Et à part ton défilé, tu as des projets pour les jours à venir ? »

Bon, Andrew pensait que peut-être, le mannequin avait des tonnes de projets en rapport avec son métier. Sa vie semblait bien chargée, même s'il n'était payé qu'à faire le beau devant des fans, des photographes. Le cuisinier n'avait pas beaucoup de sujets à lancer lorsqu'il discutait avec Kwan, mais il était sûr qu'un jour, ils pourraient avoir une conversation intéressante. Qui sait, peut-être allait-elle arriver aujourd'hui. Mais Andrew ne connaissait rien au métier de mannequinat et encore moins à l'estime de soi. Lui se trouvait banal, sans intérêt et peu charismatique. Kwan en avait et il en jouait, ce qui faisait sa richesse.

« Connu hors de Storybrooke ? C'est sûr que ce serait plus distrayant pour toi de voyager pour tes défilés plutôt que de rester ici. » Il fallait dire que la petite ville du Maine n'était pas immense - enfin, c'est ce que le cuisinier pensait - et pour un mannequin, les représentations locales devaient peser au bout d'un moment. Un jeune homme comme Kwan rêvait sûrement d'aligner ses groupies - même s'il les trouvait moches - et ses fans à grande vitesse. Il avait visiblement besoin de plaire, d'être aimé, alors quoi de mieux que d'être connu partout dans le monde pour atteindre cet objectif ? C'est ce que beaucoup de célébrités désiraient en tout cas et Andrew le comprenait bien. « En tout cas, je te souhaite de réussir dans ce chemin là. » Il adressa un rapide sourire à Kwan tout en passant son assiette à une serveuse qui venait le débarrasser et lui apporter son dessert.

Andrew adorait les glaces, surtout le mélange vanille-chocolat, avec supplément de chantilly. Et puis, comme il était bien sage, il avait le droit à la cerise confite sur le dessus. Bref, il allait se régaler, alors que Kwan en était encore à son foie gras qu'il tartina sur son toast après avoir parlé de ses projets à venir. Andrew acquiesça d'un signe de tête en se délectant de sa glace qu'il s'amusait parfois à mélanger avec tous les ingrédients de la coupe. Et lorsqu'il tenta de prendre la cerise pour la mettre à sa bouche, il la lâcha, surpris par la puissance à laquelle Kwan lança son auto-compliment. Tant pis, la cerise ne restera qu'un doux rêve. Elle venait de s'écraser par terre.

Une jeune femme semblait parler avec les yeux, fixant Kwan avec une expression des plus dépitée. Le mannequin ne se laissa pas faire et répliqua non sans se valoriser, parlant de sa belle réussite que sa voisine de table n'avait pas. La cliente, excédée, se leva et partit rapidement. Granny foudroya Kwan du regard et on aurait presque juré voir une bulle de bande-dessinée s'afficher avec l'image de ce fameux fusil qui tirait dans le fessier royal du mannequin. « Ne t'en fais pas Kwan. Certains ne comprennent pas trop tes ambitions. Ton moelleux est bientôt prêt en plus je crois. Le cuisinier s’attelle activement à la tâche ! » Oui, Andrew avait un œil sur les cuisines alors que Granny le tapa doucement à l'épaule. « Arrête de l'encourager ! Et toi, » dit-elle en pointant un doigt menaçant vers le mannequin, « ne fais pas fuir mes clients ! »

Se faire réprimander par Granny était toujours amusant pour Andrew. Il ne manquait pas de respect à la vieille dame, pas du tout, mais lorsqu'elle se mettait faussement en colère, c'était assez comique à voir. Par contre, la nouvelle tape dans l'épaule, le cuisinier la sentit passer. Granny n'aimait pas qu'on pense qu'elle n'était pas sérieuse et franchement, aujourd'hui, elle l'était. Kwan était bien gentil, mais elle n'arrivait pas à s’accommoder de son caractère arrogant. Parfois, il allait trop loin et elle ne le supportait plus. Andrew, lui, s'en fichait. Tout ce qui sortait de la bouche de Kwan n'était pas à prendre au sérieux. Le mannequin avait sûrement un autre caractère, dans le fond, mais il fallait peut-être mérité de voir qui il était vraiment. Ce n'était qu'une supposition pour le cuisinier mais au moins, cette idée lui permettait de tenir compagnie à Kwan.

Lorsque le mannequin se justifia, une nouvelle fois, sur son comportement et celui des autres à son égard, Granny secoua la tête en levant les yeux au ciel. Elle ne préféra d'ailleurs pas rester plus longtemps et laissa tout le loisir à Andrew de supporter le drôle de personnage face à lui. Le cuisinier profita de ce départ pour regarder son vis-à-vis plus sérieusement, en s'approchant un peu plus avec sa chaise. « Au fond, elle t'aime bien. Elle joue juste son rôle grognon pour que ses clients ne se sentent pas chasser du restaurant. » Le jeune homme reposa son dos contre le dossier de sa chaise, buvant sa toute dernière gorgée de thé glacé. « Je vais bientôt devoir repartir travailler. C'est tout ce que tu me racontes pour aujourd'hui ? » Les quelques minutes restantes, Andrew pouvait les passer en jouant les confidents pour Kwan. Si le mannequin avait besoin de parler d'autres de ses projets ou de sujets plus sérieux et personnels, le cuisinier était là. Ce n'était pas lui qui irait répéter les petits secrets de Kwan, comme certains semblaient le faire lorsqu'ils avaient des amis célèbres. Andrew était plutôt du genre à s'occuper de ses affaires, mais portait une oreille attentive en cas de besoin, sans en parler autour de lui ensuite.