Introduction Époque du sujet : Passé Date du sujet : Deux ans avant la malédiction Ordre de passage des participants : Gweneth - Charlie

A boire ! A boire ! A boire ! Les pirates, déjà bien éméchés pour la plupart, scandaient en tapant du poing sur les tables de la taverne, tels des enfants affamés en attendant un festin. En travaillant dans ce lieu depuis son adolescence, Gweneth pensait qu'elle s'habituerait à ce genre de comportement à des moments variés de la journée (surtout le soir en fait). Mais à chaque fois qu'elle les voyait, à chaque fois qu'elle les entendait, elle ne pouvait s'empêcher de rouler ses yeux. Elle, mépriser les pirates? Comment avez-vous deviné? Elle ignorait pourquoi les enfants voulaient tous leur ressembler, en jouant avec leurs fausses épées en bois dans les rues. Les pirates étaient des hommes malfaisants auxquels on ne pouvait jamais se fier, sans aucune attache. Mais ils avaient un point positif : s'ils piégeaient très facilement leurs pauvres victimes, ils pouvaient très bien être piégés à leur tour. Et ça, c'était la spécialité de Gweneth, qui bénissait son travail à la taverne auprès de ses parents adoptifs. Ils ignoraient ce qu'elle faisait en servant ses clients pirates, ni même ce qu'elle faisait en dehors de la taverne. Elle vivait sa vie tranquillement, et cela lui allait très bien. Seul son ami cuisinier savait ce qui lui passait par la tête à chaque fois qu'elle s'approchait d'un pirate, une pinte à la main, en roulant bien ses hanches à chaque pas, un sourire en coin esquissé sur les lèvres.

Le mythe de la blonde à la forte poitrine existait bel et bien dans cette taverne, avec ses charmes qui attiraient l'oeil de chaque homme présent, qui faisaient parler à chaque table occupée. Gweneth en jouait, elle en profitait pleinement. Ne vous méprenez pas: si un homme allait trop bien, elle le remettait à sa place ou l'assommait avant de le jeter en-dehors de la taverne. Elle ne se laissait jamais faire, elle avait le plein contrôle de son corps et de son esprit. Personne ne se méfiait d'elle néanmoins. Ils pensaient qu'elle était une simple serveuse qui aimait aguicher les pirates qui lui plaisaient et passer la nuit avec eux sur leur navire avant de les laisser repartir sur la mer. Mais il n'en était rien, et cette part de mystère était plus qu'agréable. Servant quelques boissons dans la taverne, elle examinait chaque visage présent près d'elle. Elle allait choisir sa prochaine victime. Et les possibilités étaient multiples, ce qui l'enchantait. Elle avait toujours plusieurs options : soit elle les piégeait en les servant, soit en leur parlant, soit après leur nuit passée ensemble.

- Voyons, messieurs, quel est l'objet de votre querelle?, demanda Gweneth en s'installant sur les genoux d'un pirate qui oublia toute mésentente avec ses compagnons alors qu'il observait sa poitrine visible grâce à son corset, vous avez l'air tendu, profitez donc de votre escale et cette bière. C'est la maison qui offre...

La jeune femme gardait son air charmeur à chaque parole, passant le bout de ses doigts sur la joue mal rasée du pirate. Il ne pouvait plus détacher ses yeux d'elle, sans réaliser qu'elle plongeait sa main dans ses poches pour en retirer quelques pièces d'or. Facile, trop facile, elle s'ennuierait presque. L'appel d'un autre client la fit presque sursauter et elle adressa un clin d'oeil au pauvre pirate qui ne réalisait rien avant de se relever et d'aller servir d'autres verres. Ce petit air innocent était tellement utile, et puis, sa discrétion lui servait bien, personne ne la remarquait à chaque fois. Son petit trésor personnel allait devenir un peu plus important, et cela l'enchantait, la faisant sourire un peu plus à chaque pas.

Une jeune fille, chez les pirates ? Et bien, oui. Charlie avait tout juste vingt ans. Elle avait une petite bouille d'ange et l'air malicieux, en permanence. Ce qui l'agaçait parfois. Pourtant, les membres de l'équipage dont elle faisait partie étaient ravis de l'avoir avec eux. Charlie avait appris le métier de pirates et l'art de la manipulation – non, attendez... la jeune fille en était déjà capable, et depuis longtemps. Tout passait par la parole, par les gestes. Charlie savait comment s'y prendre et adorait sa nouvelle vie, qui était devenue un très grand terrain de jeu. Les pirates passaient leur temps à faire la fête, à s'amuser. Ils étaient sérieux aussi, parfois... rarement, mais ça leur arrivait et à ces moments-là, Charlie savait qu'elle n'était pas tombée dans n'importe quel clan de pirates. À vue d'œil, ils avaient l'air assez flemmards et même bizarres, comparés à l'équipage du capitaine crochet. Mais il ne fallait pas se fier aux apparences. Charlie l'avait appris et le sentait instinctivement. Son capitaine pouvait d'ailleurs servir de très bon exemple. C'était un homme qui pouvait sembler intimidant, distant. D'un simple regard, il pouvait effrayer. Mais il avait aussi ce drôle de comportement détaché, décalé. Parfois, Charlie n'arrivait pas à le prendre au sérieux car il l'a faisait rire. Et parfois... il l'impressionnait et elle n'osait plus parler en sa présence. Les autres membres de l'équipage étaient plus calmes en comparaison. Il y avait quelques numéros, mais ils n'étaient pas aussi fous que leur chef.

Ce soir, le clan de pirates avait décidé de se rendre à la taverne, pour boire un peu après une longue journée passer sur le navire à combattre des monstres marins et... bon, d'accord, en fait, ils n'avaient absolument rien fait de la journée, comme la plupart du temps. Charlie les accompagnait, sans rien dire. Elle tenait compagnie à son ami d'enfance, Eamon, qui était suivi de très près par son grand frère, Balthasar. Ce dernier avait besoin de se changer les idées, de boire. Il avait d'ailleurs la tête à l'emploi, ironiquement. À le voir, on pourrait penser qu'il s'agissait d'un type porté sur la bouteille, grognon et même dérangé. Ses cheveux étaient toujours éparpillés sur sa tête comme s'il venait de se réveiller. Son attitude nonchalante et son regard meurtrier faisaient de lui un homme à qui l'on osait pas se frotter de trop près – sauf les femmes, bien-sûr, qui étaient toujours intriguée par Balthasar. Au moins, son petit frère avait l'air plus calme. Oui, avait l'air. Ne pas se fier aux apparences, vous vous souvenez ? Eamon avait l'air d'un enfant sage et pourtant, il était capable de se battre et d'être très méchant lorsqu'il le fallait. Son caractère était semblable à celui de son aîné, vif, impulsif.

Charlie entra dans la taverne en lançant des regards inquisiteurs autour d'elle. Jamais encore la jeune fille n'avait mis les pieds dans ce genre d'endroit. Elle découvrait le comportement de certains hommes qui, sans plus attendre, la jaugèrent de bas en haut. Charlie fronça les sourcils lorsque l'un des clients tenta de poser sa main en bas de son dos. Ce dernier fut cependant vite stoppé dans son élan. Balthasar avait sorti un couteau et tapa le coté plat de la lame contre la main du pervers pour le dissuader de continuer. Charlie observa la scène mais Eamon la somma d'avancer rapidement. Les membres de l'équipage s'installèrent alors au fond de la taverne, à une table éloignée. Le capitaine se laissa tomber sur une chaise qui se trouvait contre le mur, suivi de près par ses comparses. Balthasar se trouva vite une place alors que Charlie restait debout, hésitante. Finalement, elle s'éloigna du groupe en les informant qu'elle comptait revenir bien vite. Eamon la regarda s'éloigner avant de s'asseoir aux cotés de son frère, à une place qui lui permettait d'avoir Charlie dans son champ de vision. La jeune femme partit rapidement vers le comptoir où se trouvait quelques femmes. Charlie avait eu ce besoin de s'éloigner, pour être seule. Non pas qu'elle détestait la compagnie des pirates, mais de temps en temps, un peu de solitude ne lui faisait pas de mal.

Gweneth tourna la tête en voyant une bande de pirates - oui, une autre, à croire qu'il n'y avait que ça dans les environs - entrer dans la taverne. Et encore une compagnie de dépravés totalement saouls qu'elle allait devoir servir, et surtout pouvoir piéger. Elle se rendit derrière le comptoir pour remplir quelques verres, en tentant de ne pas prêter attention à toute l'agitation autour d'elle. Il serait dommage qu'elle soit déconcentrée. Elle se retint juste à temps de pousser un petit cri en sentant la main de son cher ami et collègue cuisinier lui taper les fesses en passant. Qu'est-ce qu'elle ferait sans lui, elle se le demandait chaque jour. Gweneth le suivit du regard avec un sourire amusé, la simple vision de son ami lui faisait momentanément oublier ce qu'elle faisait quotidiennement pour avoir un espoir de partir d'ici. Quand elle se trouvait avec lui ou avec les enfants qu'elle protégeait, elle se rappelait qu'elle n'était pas quelqu'un de mauvais. Mais les apparences étaient trompeuses, et dans cette taverne, elle devait être quelqu'un d'autre pour survivre en quelque sorte. Montrer ses faiblesses à un pirate était comme lui faire confiance, et cela ne risquerait pas d'arriver.

Alors qu'elle comptait les pièces d'or qu'elle avait récoltées durant ses tournées en fronçant les sourcils, elle sentit une présence s'installer près d'elle au comptoir mais de l'autre côté, celui des clients. Encore une femme sans doute, solitaire, voulant boire pour noyer ses déboires et destinée à terminer la soirée dans les bras d'un pirate. Gweneth arrangea bien son corset puis leva les yeux, et ce qu'elle vit la surprit. La femme installée au comptoir était plutôt jeune, probablement proche de l'âge de Gweneth. Elle l'avait aperçue quand elle était arrivée avec la nouvelle bande de pirates dans la taverne mais elle pensait qu'elle allait fuir en voyant les lieux - après tout, ce n'était pas un lieu très fréquentable en présence de pirates aussi éméchés. Peut-être la jeune femme s'était installée au comptoir pour se sentir en sécurité et éviter leur présence, ce qu'elle comprendrait toujours. Mais Gweneth n'était pas du genre à s'attendrir devant une nouvelle petite bouille. Elle devait faire un travail, et survivre.

- Tu t'es perdue, fillette?, demanda Gweneth avec un léger sourire en s'appuyant contre le comptoir, penchée vers la jeune femme, si tu le souhaites, je peux te servir un verre d'eau. A moins que tu préfères imiter tes amis là-bas et te saouler. Je ne te donne pas plus de deux verres pour tomber du tabouret.

Une véritable teigne, cette serveuse, n'est-ce pas? Gweneth leva les yeux pour observer les pirates dans le fond de la salle, dont un qui fixait sans arrêt la jeune femme face à la serveuse. Ce fait fit d'ailleurs sourire la blonde.

- On dirait que tu as un garde à corps là-bas. Mais j'ignore s'il veut vraiment te protéger ou te dévorer toute crue. Les intentions de ces hommes sont parfois aussi claires que l'eau... peu d'entre eux parviennent à être subtiles, Gweneth haussa les épaules en continuant à servir quelques clients au comptoir.

Charlie détourna le regard des membres de l'équipage, prête à passer commande au moment venu. Mais personne ne venait à elle. En réalité, seuls ceux qui étaient à table ou ceux qui hurlaient comme des charognards parvenaient à avoir leurs boissons. Charlie attendit donc, tout en observant les gens autour d'elle. Les femmes avaient l'air de marionnettes contrôlées pour le plus grand plaisir de ces messieurs. Elles s'approchaient, souriaient, alors que les hommes laissaient leurs mains baladeuses parcourir leurs corps. Pourquoi se laissaient-elles faire ? Charlie roula des yeux. Elle détestait l'idée que les hommes puissent avoir tous les privilèges et surtout que les femmes se laissaient ainsi faire, comme des vulgaires jouets, même pour de l'argent. Et à ce moment-là, Charlie fut ravie de ne pas vendre son corps pour de l'argent. Elle préférait de loin troubler les esprits en se servant de la manipulation psychique. C'était bien plus intelligent et moins dégradant. Mais les femmes autour d'elles étaient peut-être prêtes à tout, qui sait ? Charlie ne les connaissait pas et ne savait rien de leurs motivations.

Ses pensées s'envolèrent rapidement, alors qu'une voix parvint à ses oreilles. Fillette ? Charlie tourna la tête afin de voir qui s'adressait à elle. C'était une jeune femme, blonde, pulpeuse. Sa poitrine menaçait de s'échapper de son corset et ça ne semblait pas la déranger, au contraire. Charlie leva alors les yeux, préférant observer autre chose que ces deux formes qui allaient lui exploser à la figure. Voilà que la serveuse lui proposait un verre d'eau. De mieux en mieux. La "fillette" garda cependant son calme, adoptant une attitude neutre. Inutile de devenir agressive pour de simples paroles futiles lancées par une inconnue. Si ses petites piques l'amusaient, tant mieux pour elle. Charlie n'allait pas perdre son temps, mais répliquerait si nécessaire. La vipère continua alors de déverser ses paroles, lançant un petit commentaires cinglant à l'encontre des compagnons de Charlie qui commençaient déjà à boire.

Là, la serveuse se rendait sur un chemin dangereux. Elle avait d'ailleurs intérêt à ne pas trop jouer les malines, car Charlie pouvait facilement sortir ses griffes lorsqu'il s'agissait de ses amis. La blonde décida alors de faire une petite remarque au sujet de Eamon qui les fixait. D'après elle, il agissait comme un garde du corps. C'est en tout cas de cette façon qu'elle parla de lui, sans même savoir qui il était. La phrase qui suivit fut alors très troublante. Charlie ne voulait pas essayer de comprendre et se leva du tabouret, prête à partir. Elle étouffait ici, tout comme la poitrine de la serveuse. Alors, sans un mot, elle quitta la taverne. À quoi bon répliquer ? Elle ne voulait pas entrer dans le petit jeu de cette inconnue dont-elle ne se souviendrait certainement plus le lendemain. Eamon la suivit du regard, ne sachant pas s'il devait la rejoindre ou la laisser filer. Balthasar, lui, préféra porter son attention sur la serveuse qui s'était entretenue avec Charlie quelques secondes plus tôt. Et puisqu'il n'avait aucune idée de ce qui s'était tramé dans son dos, il ne savait pas que sa cible avait été désagréable avec sa petite protégée. Dans le cas contraire, il l'aurait regardé différemment...

La fillette était-elle donc agacée par la vipère blonde qui conservait un sourire narquois sur ses lèvres? Apparemment. Gweneth essayait simplement d'entretenir une conversation. Je vous l'accorde, elle s'y prenait assez mal mais elle n'était pas là non plus pour se lier d'amitié avec chaque personne présente dans la taverne. Et puis, elle avait été assez gentille pour lui proposer un verre d'eau gratuit par-dessus le marché, que demander de plus? Si Gweneth se doutait que sa poitrine dérangeait quelque peu la jeune femme... au moins, elle attirait la clientèle. Si les pirates sortaient les gros canons dans chaque navire, elle sortait ses boulets de canon quand il le fallait. Tout était question de business dans le coin, tant pis si ça dérangeait certaines personnes. Elle afficha un large sourire en entendant le cuisinier dont elle était inséparable imiter quelques pirates qui chantaient très faux dans la taverne. Oui, elle devait supporter ça, les chansons assez osées dont les paroles étaient scandées par une bande de pirates saouls qui renversaient de la bière un peu partout. Des cas désespérés, en fait.

La situation changea cependant au comptoir. La "fillette" se leva du tabouret avant de quitter la taverne sans un mot. S'était-elle vexée à ce point? Elle n'avait même pas commandé de boisson, ni remercié Gweneth pour le verre d'eau. Etait-ce parce qu'elle l'avait appelée fillette ou parce qu'elle avait évoqué son garde du corps? Certains clients étaient décidément difficiles à comprendre et suivre, mais tant pis pour elle. Après tout, Gweneth avait du travail, et elle n'allait pas perdre du temps à se demander pourquoi cette fille avait quitté la taverne. Elle n'allait pas non plus lui courir après, s'excuser et l'inviter à faire la ronde autour d'un feu de camp sur la plage. Elle décida de servir de nouvelles bières aux pirates qui s'improvisaient divas d'un soir avant de regarder autour d'elle. Elle croisa le regard de l'un des hommes qui avaient accompagné la "fillette", et qui était assis près de son "garde du corps". Elle avait choisi sa victime, et par conséquent, sa compagnie d'une nuit.

- Besoin d'une autre bière?, demanda-t-elle en s'avançant lentement avant de se laisser tomber sur les genoux de l'homme qui avait un charme fou, il fallait bien qu'elle l'admette, si vous avez besoin de quoi que ce soit, n'hésitez surtout pas.

Gweneth ne chercha pas de quoi voler dans les poches de l'homme, elle attendrait de se trouver sur son navire, quand il serait endormi. Elle fouillerait les lieux, emporterait une partie de son trésor et retournerait à la taverne sans problème. C'était sa spécialité, et personne ne se mettrait en travers de son chemin. Surtout pas le souvenir d'une fillette solitaire et bien trop susceptible. Au moins, les pirates appréciaient sa poitrine, eux.

Les intentions de ces hommes sont parfois aussi claires que l'eau... peu d'entre eux parviennent à être subtiles. Non mais... qu'avait-elle voulu insinuer dans cette phrase ? Charlie repensait encore à cette serveuse qui l'avait abordée et marchait à travers la forêt enchantée, sans but précis. Tant pis si elle tombait sur une quelconque créature de la forêt, avec un peu de chance, elle arriverait à s'en sortir. Puis, ce ne serait pas un mal, puisque Charlie les aimait bien et voulait en voir. C'était déjà mieux que de rester enfermer dans cette taverne, à recevoir quelques remarques dans la figure. Si la jeune femme détestait bien une chose, c'est qu'on l'a prenne pour une gamine. Elle avait vingt ans, mais tout de même. Elle était capable de boire deux bières sans être éméchée, de se battre, d'aller en pleine forêt seule comme maintenant, sans avoir de gardes du corps autour d'elle. Charlie commençait à marcher de plus en plus vite, décidée à se changer les idées.

À la taverne, d'autres aussi voulait se vider l'esprit. Le capitaine semblait préférer la compagnie de la boisson plutôt que celle des femmes, alors que ses hommes, tout autour de lui, flirtaient avec quelques dames qui se présentaient à eux. Eamon termina sa pinte et décida de sortir à son tour lorsque la serveuse blonde s'installa sur les genoux de son frère. Il n'avait pas besoin d'assister à cette scène, encore moins de la subir. Balthasar ne dit rien et lui lança un bref regard, avant de reporter son attention sur la demoiselle installée sur lui. Heureusement que cette dernière n'avait pas l'intention de lui fouiller les poches, car tout ce qu'elle trouverait, ce serait du tissu, et encore du tissu, puisque le pirate préférait garder son or en sécurité. Pour les boissons, le capitaine offrait des tournées, alors... « Qu'est-ce que vous pouvez offrir à part une nouvelle bière ? » Balthasar usa d'un de ses sourires charmeurs tout comme la serveuse usait de ses atouts pour le séduire. Ce petit jeu pouvait durer encore longtemps, jusqu'à ce que le trentenaire soit assez saoul, jusqu'à ce qu'il conduise cette inconnue à bord du bateau et qu'il lui fasse visiter sa cabine.

Et pendant ce temps-là, Charlie marchait encore dans la forêt, sans rien voir à part quelques lucioles et autres animaux nocturnes. Alors, puisqu'il n'y avait absolument rien à faire ici, elle fit marche arrière pour rejoindre le navire, sûrement à nouveau occupé par ses amis les pirates qui devaient être remplis d'alcool et endormis comme des loques.

Qu'est-ce que vous pouvez offrir à part une nouvelle bière ? Ooooh il serait bien surpris par la réponse de la serveuse. Bien sûr, elle ne pouvait pas lui promettre une nuit inoubliable. Après tout cet alcool ingurgité, il ne se souviendrait probablement de rien et se réveillerait seul, comme chaque pirate après une cuite piégé par la jeune femme. Gweneth se contenta de sourire et de lui offrir une nouvelle bière en le charmant. C'était toujours le même scénario, cette même routine par laquelle elle devait passer pour pouvoir obtenir de l'or ou un beau butin. Elle n'aimait pas perdre son temps, alors quand les pirates n'allaient pas à la mener à ce qu'elle voulait, elle les assommait ou les laissait seuls, puis elle se tournait vers un autre pirate qui la satisferait davantage. Gweneth était calculatrice, elle agissait presque comme un pirate en réalité. Mais au moins, l'alcool ne la rendait pas stupide. Puis si jamais le danger devenait un peu trop proche d'elle, elle avait toujours de quoi se défendre. Gweneth était plus rapide qu'un pirate saoul, c'était déjà un bon point. N'importe qui serait plus rapide qu'un pirate saoul de toute façon, même s'il était armé d'une longue épée.

La suite du scénario habituel s'enchaîna, pour le plus grand plaisir de la serveuse. Après plusieurs bières et un numéro de charme, le pirate se décida enfin à l'emmener sur le navire. Gweneth jeta un coup d'oeil autour d'elle, histoire d'avoir quelques repères pour sa petite fouille habituelle, avant de suivre l'homme dans sa cabine. Vraisemblablement, vu l'état d'ébriété du pirate, leur moment intime n'allait pas durer très longtemps. Au moins, il s'endormirait vite. Et si elle pouvait passer moins de temps sur ce fichu navire, cela l'arrangerait grandement. Elle laissa le pirate faire, d'un air détaché. Le business était souvent lié au plaisir mais Gweneth en prenait rarement. Son seul plaisir était la découverte de l'or et du trésor sur chaque navire. Après quelques instants, elle vérifia que le pirate était bel et bien endormi. Parfait. Elle n'avait même pas eu besoin de lui chanter une berceuse ou de lui raconter une petite histoire.

- Et un de plus... vous êtes vraiment désespérants, marmonna Gweneth en se rhabillant correctement. Elle jeta un dernier coup d'oeil au pirate avant de fouiller sa cabine. Il n'y avait pas grand chose à fouiller de toute façon, alors elle décida de sortir. Le navire semblait relativement désert, c'était le moment ou jamais. Gweneth vérifia qu'elle portait bien son poignard sur elle et afficha un sourire avant de fouiller les lieux. Elle récolta plusieurs pièces d'or, ce qui la ravit au plus haut point. D'après ce qu'elle entendait, des pirates étaient occupés dans leurs cabines ou chantaient complètement saouls, elle les entendait depuis le navire alors qu'ils se trouvaient encore dans la taverne. Elle roula ses yeux et poursuivit ses recherches, persuadée qu'elle était seule sur le navire et que rien ni personne n'allait la perturber.

La nuit porte conseil, comme on dit. Qu'elle dorme ou non, Charlie pensait que ce dicton était juste. Marcher à travers la forêt en pleine nuit lui avait permis de faire le point sur sa vie. Elle avait ressassé le passé, s'était souvenue des bons moments comme des mauvais, puis elle avait pensé à son avenir, ici, avec les pirates. Charlie avait toujours aimé l'aventure, le goût du risque. Elle ne savait pas d'où elle tenait toutes ces lubies, car sa mère et son soit-disant père n'avaient jamais aimé aller à l'encontre de leurs petits repères bien tracés. Ses sœurs non plus d'ailleurs, du plus loin qu'elle s'en souvienne. Charlie avait même effrayé plusieurs de ses sœurs en racontant des tonnes d'histoires fantastiques effrayantes juste avant la tombée de la nuit. Sans parler des fois où la jeune fille les avait traîné au fin fond d'une forêt dans l'espoir de rencontrer des nains, des fées ou d'autres créatures - même celles que l'on disait dangereuses. Mais tous ces souvenirs n'étaient pas que des moments de nostalgies pour Charlie. Au contraire, ils étaient pour elle des indices précieux. Si le seigneur qu'elle avait pris pour son père durant toutes ces dernières années ne l'était pas, alors, qui était-il ? D'après les rumeurs, c'était un paysan quelconque et sans intérêt. Charlie était persuadée du contraire. Son imagination lui jouait peut-être des tours, mais elle espérait au fond d'elle qu'il soit quelqu'un de bien. Une personne dont-elle pouvait être fière. Charlie voulait au moins se rattacher à un parent, ce qui était ridicule pour certains. Mais elle en avait parlé à Eamon, qui était très proche de son frère, et celui-ci comprenait. Lui-même n'aurait pas pu s'en sortir sans l'aide de Balthasar.

D'ailleurs, ce dernier prenait du bon temps, sur le navire. Il avait emmené cette serveuse dans sa cabine et avait passé quelques minutes dans ses bras, avant de s'endormir et de ronfler comme un ours. Balthasar n'était pas un homme naïf en temps normal, mais parfois, lorsqu'il voyait une jolie jeune femme, il devenait un parfait imbécile. L'alcool y était pour beaucoup, malheureusement. C'était une de ses faiblesses, mais comment empêcher un homme de boire s'il a besoin de se détendre de cette manière ? Au moins, Eamon était plus calme et ne choisissait pas ses conquêtes au hasard. Charlie était bien contente de ne pas avoir à passer de soirées semblables. Elle n'avait ni envie d'être prise pour une prostituée, ni pour une femme facile, et tant pis pour l'avis de certains, c'était son choix. Elle n'attendait pas le grand amour, loin de là, mais ne tombait pas non plus dans les bras du premier venu.

En revanche, il y en avait une pour qui ce devait être le cas. Charlie venait d'entrer dans le navire et entendit du mouvement. Mais pas n'importe quel mouvement. Une personne aux pas légers se déplaçaient à bord. Aucun des compagnons de la jeune fille ne se déplaçait comme une petite souris. Ils avaient tous l'habitude de se faire entendre du plus loin où ils se trouvaient, alors... Charlie comprenait que quelqu'un d'étranger était ici. Elle prit un pistolet à silex dans sa botte et se déplaça lentement, les yeux rivés sur le couloir sombre du bateau. Finalement, elle décida de ne pas avancer et se recula dans l'ombre pour aller s'asseoir sur un buffet qui se trouvait dans la salle des festins. Lorsque, enfin, l'intruse apparue, Charlie leva les yeux, affichant un air totalement serein et un sourire léger. « J'espère que vous ne cherchez pas mon verre d'eau ici. Nous n'avons que de l'alcool à bord. » La jeune fille adoptait un ton très calme, comme si elle s'adressait à une amie de longue date. « En revanche, il y a de l'eau à l'extérieur, je pourrais vous la montrer. » Une menace, subtile, comme elle en avait l'habitude. « On dit que l'eau de mer soigne de nombreux maux. » Elle haussa les épaules et déplaça la main qui tenait le pistolet à la lueur de la lune, pour que la serveuse réalise qu'elle n'avait pas affaire à une simple fillette. « Qui sait, peut-être avez-vous besoin de profiter des vertus de l'océan. »

Cela faisait toujours plaisir de réaliser qu'elle ne perdait pas son temps, après avoir passé un moment dans les bras d'un pirate saoul. Elle avait fait des trouvailles très intéressantes et remplissait le petit sac en toile qu'elle avait emmené avec elle. Tout était calme, elle avait encore le temps de fouiller encore un peu le navire avant de retourner à la taverne et de partager son petit butin avec son meilleur ami. Le ronflement d'un pirate la fit sursauter, elle serra son sac contre elle avant de faire tomber une pièce d'or sur le sol. Mince, elle allait probablement attirer l'attention malgré les bruits du pirate qui ressemblait plus à un ours sur le moment. Il était temps de retourner à la taverne discrètement. Gweneth jeta un coup d'oeil autour d'elle, la voie semblait être libre. Parfait, elle n'aurait pas de problème. Elle s'était déjà fait surprendre par un pirate et les choses avaient plutôt mal tourné. A ce simple souvenir, elle sentit sa main trembler et secoua la tête, ce n'était pas le moment d'y penser. Elle accéléra le pas et se faufila jusqu'à un couloir sombre qu'elle traversa prudemment avant d'atteindre la salle des festins. Mais alors qu'elle croyait pouvoir sortir en toute tranquillité, elle remarqua une silhouette assise sur le buffet : la jeune fille à qui elle avait proposé un verre d'eau dans la taverne, et qui était partie, visiblement vexée, sans demander son reste.

Gweneth arqua un sourcil en l'écoutant. Ooh, visiblement, la fillette était sarcastique et elle n'était pas muette. Après tout, elle n'avait pas prononcé un mot dans la taverne, cela pouvait porter à confusion. Elle fit quelques pas alors que la jeune fille parlait encore. Elle voulait lui montrer l'eau? Oh, parfait. Un spectacle donné par deux filles en furie qui essayaient de se noyer l'une et l'autre ne pouvait qu'attirer la clientèle dans la taverne mais Gweneth n'avait pas envie de jouer avec cette étrangère. Elle voulait quitter le navire et s'étendre à côté de son ami en oubliant sa longue journée. Seulement, elle sentait que la jeune fille n'allait pas la lâcher de sitôt, à son grand désespoir. La serveuse ne montra aucun signe de surprise en apercevant le pistolet qu'elle tenait. Elle avait déjà un pistolet braqué sur elle une fois, et c'était un souvenir qui la hantait encore à ce jour. Si son ami n'était pas venu la secourir, en mettant sa propre vie en péril, elle aurait probablement été retrouvée sur le port ou derrière la taverne, avec une balle dans la tête. Elle ne montra rien de sa peur et osa même avancer à nouveau vers la jeune fille, affichant un sourire en coin.

- Je vois, tu n'es pas la fillette du navire, tu es simplement le chien de garde des pirates, c'est original je trouve, répliqua la jeune femme en marchant dans la salle, ils n'ont jamais essayé de se débarrasser de toi? Normalement, ils ne veulent aucune attache et rien qui ne leur fasse penser à une famille. Tu es jeune et surtout tu es une femme. Les femmes portent apparemment malheur en pleine mer. Gweneth se planta devant elle, les yeux légèrement plissés, sans aucun sourire cette fois. Qu'est-ce que tu attends pour me tirer dessus, au juste? Tu ne sais pas t'en servir? Je pourrais t'apprendre, tu sais, j'ai déjà vu quelqu'un à l'oeuvre. Il paraît que c'est très fascinant de voir un pirate abattre une personne, au point d'en abandonner sa famille pour rejoindre un équipage sans regrets. Qu'est-ce que j'en sais de toute façon, tu fais partie de l'équipage, pas moi. Gweneth en savait quelque chose à vrai dire. Les pratiques des pirates, leurs armes, leur façon de vivre avaient attiré son père jusqu'à eux et mené sa mère dans les ténèbres jusqu'à sa mort. Et durant son enfance, elle avait vu plusieurs pirates à l'oeuvre, elle avait même vu un homme se faire abattre. Son mépris envers eux ne s'était qu'amplifié. Elle n'allait pas se reculer devant cette jeune fille armée, elle n'allait pas lui donner ce plaisir.

Qui avait été assez stupide pour faire monter cette femme à bord ? Charlie se posait la question et était loin de pouvoir deviner la réponse. Si elle aurait su que Balthasar s'était amusé avec la serveuse jusqu'à s'endormir une fois le travail terminé, pas sûr que celui-ci puisse encore retenter l'expérience. Mais pour l'instant, Charlie n'avait pas le temps de réfléchir à qui avait fait quoi. L'intruse devait se justifier quant à sa présence ici et la jeune femme attendait ses réponses de pieds fermes. Elle lui avait même montré son arme pour lui tirer les vers du nez, ce qui ne tarda pas à fonctionner. Et la serveuse ne mit pas ses belles paroles de coté, insinuant que Charlie n'était pas une fillette mais plutôt un chien de garde - ce qui n'eut aucun effet sur la concernée. Au moins, quelqu'un montait la garde ici. Cependant, la suite du discours ne plut pas du tout à Charlie. Elle n'avait qu'une envie : attraper la serveuse par les cheveux et la faire passer par dessus bord, uniquement pour avoir osé suggéré que les pirates chez qui elle se trouvait n'étaient pas une famille. L'intruse lançait son venin tout en se rapprochant au plus près de Charlie, jusqu'à être à quelques centimètres seulement de l'arme qu'elle tenait.

Elle voulait que le chien de garde lui tire dessus ? Ce serait bien trop facile et Charlie n'en avait même pas l'intention. Tout ce qu'elle avait voulu était de dissuader l'intruse de fuir avec l'or qu'elle venait de voler. Elle attendit donc que cette dernière ait terminé de parler pour ranger son arme dans sa botte, d'un geste calme qui ne laissait présager rien de bon. Aussitôt eut-elle terminé que Charlie bondissait sur la serveuse telle une furie, l'attrapant par le cou de ses deux mains pour aller la plaquer contre une paroi quelconque. « Tu ne sais rien ! Tu ne sais même pas de quoi tu parles ! » La jeune fille était énervée et n'hésita pas à attirer son ennemie vers elle pour mieux la plaquer contre le mur, une seconde fois. « Tu penses que nous sommes des criminels ? » Ce qui était loin d'être le cas, puisque les pirates chez qui elle se trouvait n'avaient rien à voir avec d'autres. « Tu devrais mieux choisir tes ennemis à l'avenir. Et je te conseille de rendre l'or que tu as volé, car il ne t'appartient pas. » Le butin de l'équipage ne servait pas qu'à remplir les poches des hommes qui se trouvaient à bord du navire. Charlie ne pouvait pas parler des petits secrets de son clan à une étrangère, mais celle-ci devait impérativement rendre le trésor à ces détenteurs.