« All I waaaant is a room somewheeere ~ Faaar away from the cold night aiiiir ~ …

Un vieil homme se retourna alors qu’il rentrait chez lui, surpris d’entendre une voix chantonnante sortie de nulle part, et n’eut que le temps d’apercevoir la silhouette fluette d’une jeune femme disparaître au coin de la rue. Se demandant ce que c’était encore que ce tintouin, il secoua la tête en songeant que décidément, la jeunesse de nos jours était des plus étranges, avant de reprendre sa route. Emily avait-elle conscience de la perplexité qu’elle avait semé sur son passage ? Certainement pas. Et même si ça avait été le cas, elle en aurait probablement ri, comme elle le faisait toujours. Passer son après-midi avachie sur son canapé devant My Fair Lady (qu’elle avait regardé pour la cent-vingtième fois) avant de sortir n’était définitivement pas une bonne idée. Pas si elle voulait conserver un minimum de crédibilité en ville. Mais comme au fond elle s’en fichait, ça ne pouvait pas faire trop de mal, si ?

« Lots of chocolates for meee to eaaat ~ Lots of coal makin’ lots of heaaaat…~ Oh wouuuuuuuldn’t it be loverlyyyyyyyy ?~” chanta-t-elle encore en tournoyant autour d’un lampadaire, un grand sourire illuminant son visage. Se détachant du lampadaire, elle esquissa un entrechat et reprit sa marche en fredonnant, son moment hepburnien étant passé mais pas totalement. Laissant échapper un soupir d’aise, elle songea une nouvelle fois à quel point Audrey Hepburn était une femme extraordinaire, à quel point le personnage d’Eliza était attachant, et qurtout à quel point elle aimait ce genre de moment sans grande importance mais tellement réconfortant qui peuplaient son quotidien – regarder un bon film, chanter dans la rue… Et se rendre chez un de ses plus chers amis avec l’intention de lui faire une surprise.

Son sourire s’élargit, même si personne n’était là pour le voir. Elle ne se souvenait plus exactement depuis combien de temps elle connaissait Aiden, elle n’était pas du genre à garder une chronologie exacte pour ce genre de chose, mais son impatience à l’idée d’aller le voir était égale à chaque rencontre. Aiden, son petit phénomène, probablement l’un des seuls garçons de Storybrooke à avoir su capter son intérêt et réussir à le conserver (à part Adrian et Laszlo, mais ceux-là étaient encore un autre cas de figure). Le plan de ce soir ? Débarquer chez lui totalement à l’improviste –elle aimait surprendre les gens, et Aiden plus encore puisqu’il était pour elle une perpétuelle source d’émerveillement- avec le contenu de son frigo –au cas où le sien soit vide- pour lui préparer un dîner digne de ce nom. Elle espérait juste qu’il soit effectivement seul ce soir-là, autrement, bonjour l’effet loupé. Bah, au pire elle pourrait toujours se rabattre sur Laszlo et Adrian ou aller embêter Mara qu’elle avait laissée plongée dans ses recherches.

Arrivant devant l’immeuble d’Aiden, elle réajusta sa robe –il ne pouvait pas la voir, mais quelle importance ? Elle avait le droit de se faire jolie pour son propre plaisir, non ?- et poussa la lourde porte, avant de monter les marches qui menaient jusqu’à son étage. Arrivée là, le cœur battant d’impatience et d’excitation à l’idée de le surprendre, elle frappa à la porte. Tendant l’oreille, elle ne perçut aucune voix à l’intérieur sinon la sienne qui annonçait qu’il arrivait. Avec un peu de chance, ses plans se déroulaient comme prévu !
Lorsqu’il ouvrit la porte, elle lui dédia un immense sourire et déclara aussitôt avec le ton d’une hôtesse de supermarché annonçant une promotion :

« Tataaam ! Mes félicitations monsieur, vous avez gagné une visite surprise de la personne la plus agaçante MAIS adorable de votre entourage, qui a réussi l’exploit de trouver du temps dans son emploi du temps de ministre et surtout à échapper à sa colocataire qui s’était mise en tête de lui raconter ses dernières découvertes d’anatomiste. Dans son immense bonté, cette même connaissance se propose de vous offrir une soirée de rêve en tête à tête et même de vous préparer le dîner ! Quelle aubaine, non ? »

S’interrompant dans sa longue, tirade, elle prit le temps de se mettre sur la pointe des pieds pour embrasser son ami sur la joue, puis elle marqua une pause et reprit d’un ton plus sérieux, à la limite du soucieux : « Enfin… Si tu es libre bien entendu. Je ne dérange pas j’espère ? Il n’y a pas de tierce personne qui estimerait ma présence indésirée ? Tu t’ennuies assez pour bien vouloir de moi pour égayer ta soirée ? »

Car oui, Emily avait beau être Emily, elle gardait quand même un minimum de politesse… Avant de s’incruster chez les gens, elle demandait la permission !

Souriant de plus belle en apprenant qu’elle était la bienvenue pour la soirée, Emily entra dans l’appartement et suivit Aiden jusqu’au salon sans manquer, comme toujours, d’admirer la dextérité avec laquelle il se déplaçait. Elle s’était toujours demandé par quel processus mental exactement il parvenait à se repérer aussi facilement et le lui avait demandé de nombreuses fois ; mais si elle avait compris comment ça se passait en théorie, dans la pratique, elle était bien incapable de s’imaginer avec certitude à quoi pouvait ressembler une carte mentale pour un aveugle. Etant elle-même très ordonnée contrairement à ce que son caractère pourrait laisser à croire, elle avait tenté l’exercice chez elle, en imaginant que peut-être elle aurait assez bonne mémoire pour se souvenir d’où étaient ses meubles mais… L’exercice s’était soldé par un échec cuisant, de beaux hématomes au tibia, et une chute qui avait alerté Mara qui s’était demandé pourquoi sa colocataire se déplaçait les yeux bandés dans leur partie du dupleix. Trop vexée par son échec, elle ne lui avait jamais donné d’autres explications qu’une prétendue expérience pour l’hôpital, et elles n’avaient jamais ré-abordé le sujet. Tant mieux pour son amour-propre. Et maintenant qu’elle le voyait de nouveau à l’œuvre, elle ne pouvait s’empêcher de s’étonner ou de s’émerveiller, à nouveau. C’était comme s’il flottait dans l’air, évoluait dans une autre dimension inaccessible au reste du monde. Et Emily éprouvait une pointe de regret en constatant qu’elle n’y avait pas accès autant qu’elle l’aurait voulu. Elle qui savait pertinemment que personne ne la comprenait mieux qu’Aiden, aurait voulu que la réciproque soit vraie.

Gardant ces réflexions pour elle, néanmoins, elle se contenta d’accrocher son blouson au porte-manteau puis alla jusqu’à la cuisine où elle posa ses sacs sur la table, prête à en découdre avec les fourneaux. A force, elle connaissait cette cuisine et son aménagement comme sa poche comme si elle était chez elle. Il aurait même été juste de dire que l’appartement d’Aiden était pratiquement devenu un second chez-elle, tant elle s’y rendait souvent pour des raisons diverses et variées, et il n’avait pas eu l’air de s’en formaliser alors… ils avaient installé ces petits rituels sans même s’en rendre compte. Si quelqu’un était entré dans le petit appartement un soir comme celui-ci, il aurait presque pu croire qu’il avait débarqué dans le foyer de deux jeunes mariés.

« Je ne te dirai rien, on va voir si tu arrives à deviner à l’odeur des ingrédients ! Tout ce que je peux te dire, c’est que je me suis bien amusée avec ma mère cette après-midi à ressortir les vieilles recettes familiales… »

Faisant préchauffer le four, Emily releva ses cheveux et les coinça à l’aide d’une pince, puis en attendant que le four ait chauffé, alla au salon rejoindre Aiden qui faisait du tri dans ses partitions en braille. Elle contourna le bureau et, passant une main dans le dos de son ami, jeta un coup d’œil au milieu de ces papiers couvertes de minuscules points incrustés. Effleurant l’une d’elle du bout des doigts en fermant les yeux pour essayer de se souvenir des quelques cours de braille qu’il lui avait donnés, elle tenta de déchiffrer les notes mais encore une fois en vain.

« Le braille est décidément trop difficile pour moi. » soupira-t-elle avec consternation. « J’ai beau me concentrer de toutes mes forces, j’ai toujours l’impression d’avoir de gros doigts boudinés incapables de distinguer un signe d’un autre ! Il faudra que tu me joues ces nouvelles compositions, je serais honorée d’être la première à les entendre. C’est promis ? » l’implora-t-elle en passant ses bras autour de ses épaules, sa manière à elle de lui faire les yeux de chat potté. « Mais après le repas, si tu joues maintenant je vais tout louper en étant concentrée sur ma cuisine. Ou alors tu me fredonnes la mélodie pendant que je prépare tout, pour m’en donner un avant-goût ? »