Introduction Époque du sujet : Actuelle Date du sujet : 2 mai 2013 Ordre de passage des participants : Chris, Mara

La soirée était fraîche et peu conciliante. Il fallait une bonne raison à Mara pour quitter le duplex qu’elle et Emily partageaient avec la mère de son amie et collègue. Même sans cette pluie qui obscurcissait Storybrooke nuit et jour depuis quelques temps, il aurait tout de même fallu une très bonne raison à la jeune chirurgienne pour quitter l’un des seuls havres de paix qui lui restait. Elle ne passait plus guère de temps à l’extérieur, se contentant de rentrer directement à l’appartement après ses heures de travail. Elle s’était arrangée pour faire coïncider ses horaires avec ceux d’Emily, servant un mensonge mesuré au responsable des plannings de son service. Mara ne pouvait en effet plus se trouver seule à l’appartement. Un évènement lui avait arraché toute volonté d’avoir l’appartement pour elle toute seule. Pour autant, Mara se cloitrait plus souvent dans sa chambre que d’ordinaire. Elle expliquait à Emily qu’elle était fatiguée et qu’elle n’aspirait à rien d’autre que se reposer. Elle s’allongeait alors sur son lit pendant plusieurs heures, sans jamais parvenir à trouver le repos. Parfois, elle entendait sa colocataire s’agiter à l’entrée. Alors, un éclair de lucidité la poussait à s’extirper de sa torpeur et à quitter sa chambre pour fondre sur son amie et la convaincre de ne pas sortir. Au début, Emily s’en était étonné et avait tourné le comportement de Mara en dérision. Mais elle avait rapidement compris que quelque chose clochait. Elle se gardait néanmoins de questionner la jeune femme, soit par respect, soit parce qu’elle avait peur de ce qu’elle pourrait découvrir en l’interrogeant. Elle faisait contre mauvaise fortune, bon cœur, et acceptait alors de rester avec Mara, celle-ci redoublant d’effort pour leur trouver des activités plus intéressantes que celles qu’Emily pouvait avoir prévue à l’extérieur.

Cela faisait ainsi plusieurs semaines que la jeune Cadwell ne s’était pas risquée hors de chez elle, hormis pour aller travailler. Elle ne flânait plus comme avant sur le chemin, à saluer les commerçants et à échanger quelques mots chaleureux avec les passants. Elle avait même délaissé son téléphone portable, se coupant ainsi de ses amis, pour mieux faire abstraction de son ennemi. Son biper suffisait à la tenir informé des urgences à l’hôpital lorsqu’elle était de garde, et il était désormais son seul contact avec le monde extérieur lorsqu’elle restait cloitrée chez elle.

Pour autant, Mara avait fait un effort il y avait quelques jours de cela, lorsque Emily lui avait rappelé que certaines personnes se faisaient du souci pour elle. La chirurgienne avait joué l’autruche, et d’une voix qu’elle avait voulu assurée, elle s’était exclamée : « Mais je vais parfaitement bien. » Mais sa voix s’était brisée sur ce dernier mot, et il lui avait fallu ravaler les larmes qui la menaçaient plus lourdement de jours en jours afin de sauver les apparences. Emily semblait vraiment inquiète, mais elle ne pouvait pas imaginer ce qui mettait Mara dans un tel état. La fatigue apparaissait d’autant plus comme une excuse valable, tant la jeune femme peinait à trouver le repos en ce moment, et tant son sommeil, lorsqu’il intervenait, était agité. Les chambres des deux colocataires étaient suffisamment proches pour qu’Emily connaisse pertinemment les troubles du sommeil que vivait Mara. Son état semblait ainsi parfaitement s’expliquer… Du moins, dans une certaine mesure. Car rien n’expliquait pourquoi la jeune femme avait autant de mal à s’endormir, ni ce qui perturbait ses songes.

Quoiqu’il en soit, cet épisode avait fait prendre conscience à Mara qu’elle ne pourrait pas éternellement se couper du monde. Déterminée, elle avait renoué avec son téléphone portable, et son premier message avait été pour son petit frère. Ils avaient l’habitude d’entretenir des contacts fréquents et étroits. Or son silence et sa quasi disparition l’avait sans doute inquiété. Mara avait repris son habitude de lui raconter ses journées, et s’en était sorti habilement en prétextant que son travail lui avait pris tout son temps. Mais elle n’était pas convaincue de s’en sortir aussi facilement ce soir. En effet, Chris avait réclamé de la voir, et si sortir lui mettait une pression énorme, Mara s’était fait violence. Elle n’était pas allée à pieds jusqu’au Rabbit Hole, car elle avait peur des rencontres qu’elle pourrait faire en chemin. La jeune femme n’aimait pas la chose craintive qu’elle était en train de devenir, mais que pouvait-elle faire ? Rencontrer son petit frère ce soir était sans doute la premier pas sur la chemin de la guérison. Dans le taxi, elle avait reçu un message de Chris, lui apprenant qu’il était sur place. Elle sourit, et pianota machinalement sur les touches de son portable : « D’acc. » Elle y était presque, il n’y avait aucun raison pour que ses doigts se mettent à trembler, alors qu’elle rangeait le téléphone dans son sac à main. Les pneus crissèrent lorsque le véhicule s’arrêta devant le bar. Mara paya la course, et se dépêcha de descendre. L’ambiance chaleureuse du lieu eut le mérite de la rassurer lorsqu’elle pénétra à l’intérieur du Rabbit Hole. Un coup d’œil rapide lui suffit à repérer son frère. Elle marcha droit vers lui, sans se soucier des autres habitués présents. Leur prêter la moindre attention revenait à courir le risque de prêter attention à la mauvaise personne.

« Salut frangin ! » Elle se pencha pour l’embrasser, encerclant ses épaules d’un bras chaleureux. Lorsqu’elle se redressa et contourna la table pour s’installer, un serveur revint avec la commande que Chris venait sans nul doute de passer. Mara esquissa un sourire sage, mais son regard qui passa du verre à son frère dans un éclat badin suffit à faire comprendre à celui-ci le fond de sa pensée. Il avait encore fait des siennes sur l’accompagnement du mojito et, surtout, il ne commençait pas de main morte ! Elle détacha les prunelles de son cadet pour prêter attention au serveur qui s’inquiétait désormais des vœux de la nouvelle arrivante. « Un rosé pamplemousse, je vous prie. » Et elle suivit le salarié des yeux lorsqu’il se dirigea vers le bar. Elle ne reporta son attention sur son frère que de manière intermittente, car elle ne pouvait pas s’empêcher de surveiller le barman alors qu’il s’occupait de sa commande. Elle dut se tordre le cou lorsqu’un poivrot s’accouda au bar et lui coupa le champ de vision. Mara ne s’était même pas aperçue que, dans ses coups d’œil insensés vers le bar, elle s’était mise à froncer les sourcils, le souci au fond des yeux.

Il n’y avait pas l’ombre d’un jugement dans les yeux de son jeune frère. Il avait accepté le fait qu’elle avait eu beaucoup de travail, et il semblait ravi de la revoir. L’espace d’une seconde, Mara fut soulagée de constater que son absence de communication n’avait en rien troublé sa relation avec Chris. L’espace d’un instant seulement, car son regard ne s’attarda pas sur le jeune homme, préférant suivre les pas du serveur. Lorsque la voix de Chris lui parvint aux oreilles, la chirurgienne lui accorda un coup d’œil furtif, après quoi elle ne cessa de se contorsionner pour ne rien louper de ce qui était versé dans son verre.

« Alors, quoi de neuf ... » Mara crut sincèrement que son frère continuait sa phrase. Elle hocha distraitement la tête tout en surveillant le barman, faisant mine de s’intéresser à ce que lui disait Chris. Lorsque son regard trouva un instant pour lui accorder de l’intérêt, Mara haussa les sourcils, surprise de constater que les lèvres de son vis-à-vis ne bougeaient plus. Elle ne parvint cependant pas à se concentrer sur lui plus longtemps, ses yeux fondant à nouveau sur le serveur, le barman, et le verre qui se trouvaient entre eux sur le comptoir. Les deux hommes discutaient d’un air entendu, et le doute envahit la jeune femme. Que diable avaient-ils à se dire ? Elle avait commandé une boisson des plus banale, il n’y avait aucune raison de tergiverser des heures sur celle-ci … A moins qu’ils ne songent à ajouter autre chose à sa boisson. Ou que leur conversation apparemment d’une importance capitale ne permette à quelqu’un d’autre de profiter de cette occasion pour verser le moindre ingrédient dans son verre. Elle fronça à nouveau les sourcils, et son regard se braqua sur l’ivrogne qui avait tendance à lui gâcher la vue. Elle vit sa main bouger et … « T'es subitement tombée sous le charme du serveur ou quoi ? Mara ? » Les paroles de son cadet lui parvinrent sans doute, mais elle ne leur accorda nul attention. Cette fois-ci, elle ne hocha même pas la tête. Son regard fixait à nouveau le serveur, qui avait tourné la tête vers l’homme à sa droite. Force était de constater que le poivrot avait simplement bougé la main pour attirer l’attention du salarié.

Oh, Mara ! Ca va ? Mara ne sentit les doigts enroulés autour de son poignet qu’après que son frère eut parlé. Elle eut un brusque mouvement de recul, qu’elle ne tenta que bien trop tard de maquiller sous la surprise. Elle n’avait pas aimé ce contact autour de son poignet, car il lui rappelait une entrave trop récemment vécue, qu’elle ne parvenait pas à effacer de sa mémoire. Laissant fuir la surprise de son visage, Mara eut un maigre sourire, puis elle reposa lentement la main sur la table. « Désolée, j’étais un peu perdue dans mes pensées. » Son sourire s’élargit et elle attrapa avec efficacité le menton de son petit frère entre ses doigts. « Ne sois pas chirurgien, frangin, ce travail est épuisant ! » Elle le lâcha doucement, avant de se laisser mollement tomber contre le dossier de sa chaise. En effet, son travail lui siphonnait une grande partie de son énergie, mais Mara mentait ouvertement à son cadet en mettant son inattention sur le dos de celui-ci. La jeune femme n’avait jamais été très friande de mensonges et de manigances, mais ceux-ci valaient mieux aujourd’hui que la vérité.

Le serveur revint vers leur table, et posa le verre destiné à Mara devant elle. « Veuillez m’excuser pour le temps d’attente, un autre client m’a sollicité. » Avec une rapidité étonnante, Mara répondit : « J’ai vu. » Elle n’avait pas voulu se montrer aussi tranchante, aussi estompa t’elle cet effet avec un léger sourire, puis attira son verre à elle pour pouvoir délicatement le porter à ses lèvres. Le serveur eut l’air surpris, mais quoique ses pensées puissent-être, il n’en fit pas part, et se dirigea vers une autre table sans demander plus d’éclaircissement à la jeune femme. Elle reposa son verre avec un soupir et, moitié amusée, moitié gênée, elle interrogea Chris : « J’avais l’air trop indiscrète ? » Un sourire revint se dessiner sur ses lèvres, et elle enchaîna, répondant à une question de son frère qu’elle n’était même pas certaine d’avoir entendue : « Je suis grillée, les hommes à tabliers me font craquer ! » Et elle partit d’un rire léger, détournant habilement la conversation de ses véritables préoccupations.

Mara tentait de donner le change, péniblement, et elle ne doutait pas que son petit frère fut assez futé pour ne pas se laisser berner. Comment pouvait-il en être autrement ? Elle-même sentait que son comportement n’avait rien de naturel. Elle ne s’était jamais sentie aussi crispée, ni aussi à fleur de peau. Elle n’était pas femme à se laisser abattre ni à se laisser perturber pour peu de choses. Mais les récents évènements avaient plus qu’entamer sa bonhomie habituellement. Le travail lui sembla être la seule excuse valable, aussi servit-elle un mensonge à Chris avec un parfait sourire éhonté dont elle ne s’imaginait pas détentrice, le tout agrémenté d’un mouvement théâtral. « Je te rassure, être chirurgien n'est pas du tout dans mes intentions... J'aurais trop peur de faire une mauvaise manipulation... Et d'ailleurs je suis très nul en couture ! » Les lèvres de Mara se figèrent en un sourire entre amusement et incertitude. La façon dont son frère avait le don de réduire son travail à un simple travail de couture était sidérante. Mais Mara ne songeait pas vraiment à s’en offusquer. Chris était le dernier auquel elle avait à démontrer l’importance de son travail. D’ailleurs, le sourire qu’il arbora en portant son verre à ses lèvres ne laissait aucun doute planer. Chris savait très bien ce qu’il en était. Les lèvres de Mara se radoucirent, et son visage tout entier se détendit. La présence du jeune homme l’apaisait, comme aucune autre n’en était capable. Et elle se serait sans doute laissé aller à quelques pensées au sujet de l’homme respectable qu’il était devenu si le serveur n’était pas revenu à leur table.

Mara eut alors du mal à conserver le calme qu’elle avait réussi à accrocher l’instant d’avant. Elle n’était en rien rassurée par le service du Rabbit Hole. A dire vrai, elle n’était pas rassurée par grand-chose ces derniers temps. Lorsque le serveur s’éloigna, Mara servit une nouvelle excuse stupide à son cadet. « Ca ne m’étonne qu'à moitié ! A l'hôpital, tu travailles bien avec quelques bouchers non ? » La remarque devait prêter au sourire, mais ce ne fut pas exactement de sourire qu’eut envie Mara. Elle sentit un étrange frisson lui lécher l’échine, et elle parvint juste à temps à afficher un sourire contrit. Les bouchers n’étaient vraiment pas son genre, mais Chris ne pouvait pas se douter à quel point ce qualificatif remémorait de mauvais souvenirs à son aînée. Elle ne répondit pas, dirigeant toutes ses forces vers le sourire qu’elle s’évertuait à arborer. « C'est vrai que psychothérapeute, ça fait tout de suite moins sexy que boucher... Plus sérieux, certes, mais moins séduisant... J'ai peut-être mal choisi ma voie finalement... » Mara eut du mal à suivre la légèreté dans le ton de son frère. Tout ce qui lui résonna en tête fut le mot « boucher », répété une fois de trop. Les muscles tendus, ses lèvres résolument figés dans un sourire qui devenait de moins en moins crédible, elle parvint cependant à répliquer. « Psychothérapeute c’est très bien. » Elle perdit la foi de sourire, et elle n’eut plus le courage de retenir ses pensées. « C’est beaucoup plus rassurant pour une femme, crois-moi. Et il y a déjà bien trop de bouchers à Storybrooke. Des gens très bien, qui vivent leur petite vie dans l’ombre, et que l’on n’aurait pas soupçonné au premier coup d’œil. » Elle avait légèrement baissé la voix au fil de sa phrase, et elle aurait sans doute été plus avisée de la laisser complètement mourir. Mais quelque chose en elle la poussait à continuer. Elle aurait pu penser qu’il s’agissait de l’air confiant de son frère, mais elle finit par détourner le regard de lui, pour le concentrer sur son verre, preuve que le voir lui n’était pas la cause de son épanchement.

« Storybrooke n’est pas une petite ville tranquille du Maine, frangin. Ne te fais pas d’illusion. Les gens ne sont pas tous ce qu’ils semblent être. Parmi le flots de bienveillants et de généreux, il y a les pires monstres que l’Amérique ait jamais portée. » Son timbre était devenu sombre et, lorsqu’elle releva les yeux vers son cadet, il n’y avait plus la moindre once de gaité dans son attitude. Mara telle qu’elle était d’ordinaire n’aurait pas supporté d’infliger cela à son petit frère. Mais quelque chose en elle avait changé. Une petite parcelle de son être avait été brisée, par un homme qu’elle avait cherché à aider. Et elle était convaincue qu’il ne s’arrêterait pas en si bon chemin. Voilà pourquoi elle ne pouvait pas s’empêcher de frissonner et de se crisper lorsque la moindre chose le lui rappelait. « Ton avenir est assuré ici, Chris. Tu vas avoir du pain sur la planche. » Et elle se tut, aussi simplement qu’elle s’était mise à s’épancher sur ce qui l’inquiétait à Storybrooke. Amenant le verre à ses lèvres, elle en sirota quelques gorgées, sans quitter son petit frère des yeux, l’air plus calme qu’elle ne l’était intérieurement.