Cemy se frotta les yeux, sortant de son sommeil, qui n’était pas vraiment nécessaire. Mais elle n’aimait pas la nuit, ou plus précisément, les deux premières heures qui précédaient minuit. Là, elle sentait toujours la solitude, car les hommes perdus dans leurs rêves n’étaient pas prêts à s’adonner aux mensonges. Alors elle dormait, elle aussi, et elle rêvait de lui, de Zéhéra. C’était son amoureux. C’était un secret, qu’elle ne racontait qu’à elle-même, car elle n’avait personne pour lui servir en qualité de confident. Personne n’était prêt à croire le mensonge incarné, même s’il ne pouvait que raconter la vérité. Sa sœur lui manquait un peu, aussi. Mais Sanna était loin, perdue dans la malédiction de la Reine. C’était bien le seul remord de Cemy, quant aux actions de Regina.

Elle ne laissa pas le temps à ses songes de venir la tourmenter plus que nécessaire. Déjà, au loin, elle sentait le besoin qui l’appelait, celui d’une âme qui avait besoin de son aide. Elle se leva de son tas de feuilles mortes qui lui avaient servis de couche pour la nuit, enlevant la végétation trop collante à son goût. Puis, elle se mit à courir en direction de l’appel, jusqu’à arriver à un petit village – si elle avait su qu’il y en avait un si proche, peut-être aurait-elle envisagée d’y passer la nuit, mais dans l’obscurité où elle s’était arrêtée, elle n’avait guère eu de repères. Elle pénétra dans une maison ouverte et tomba sur un bien triste spectacle, un adolescent, qui pleurait son père, vraisemblablement décédé pendant la nuit.

« Ca va aller. Ca va aller. » Il n’arrêtait pas de se le répéter, sans y croire. Cemy sourit, d’un sourire doux, tandis qu’elle s’approchait de l’enfant. Elle posa une main sur l’épaule de son client, sans que celui-ci ne la sente. C’était ça, quand on était trop pris dans ses sentiments, trop occupé à se créer une nouvelle réalité. « Ca va aller. » Mais le garçon n’y croyait pas. Cemy attrapa une de ses mèches rousses et en tira un cheveu soyeux et long. Elle le contempla d’un œil rieur un instant, avant de se saisir du poignet de l’enfant, qui la regarda à peine, et de nouer son cheveu autour de celui-ci. « Mais oui, ça va aller. Tu vas digérer la peine et tu deviendras un homme, comme ton père l’attendait de toi. Tu prendras soin de ta mère et de ta sœur et vous retrouverez votre oncle disparu. Tu me crois ? » Il hocha la tête.

Les paroles du mensonge n’étaient que vérité pour ceux qui étaient prêts à croire et cet enfant, lui, l’était. Elle observa son cheveu disparaitre autour du poignet de l’enfant. Elle sourit, ravie de son travail et recula, laissant à l’enfant le soin de son deuil. Déjà, à l’extérieur, un petit groupe de villageois se regroupaient et elle se faufila entre eux, nullement inquiétée de se faire repérer. La vie de Cemy fonctionnait ainsi. Elle répondait à la demande et disparaissait avant qu’on ne la remercie, car elle les sentait, tous, ces mensonges qu’elle avait accroché au cœur de chacun. Elle les sentait vivre, et c’était suffisant.

Je ne l’aime pas. Je n’ai pas mal. Je n’ai pas besoin de lui. Ce n’est pas moi. Tout va bien se passer. Je la retrouverai. Elle est avec moi. Il n’est pas mort. Je suis belle. Tout le monde m’aime. Je peux me regarder dans un miroir. La richesse, je l’aurai. Je suis le meilleur coup de sa vie. De toute façon, il n’est pas heureux avec elle. Je ne l’ai pas cassé, c’était comme ça quand je suis arrivé. Désolé madame, nous n’en avons plus. Ce n’est pas moi qui l’ai pris. C’est moi qui l’ai fait. Je t’aime. Je t’aime. Je te retrouverai. Il ne me manque pas. Nous sommes ensembles. C’est moi qui l’ai tué.

Tous, tous, sont des mensonges. Tous, ont chacun leurs importances. Et Tous, tous, existent grâce à elle. Merci, Cemy.