Introduction Époque du sujet : Actuelle Date du sujet : 18-02-13 Ordre de passage des participants : Jefferson ➸ Skylar

Les paroles entêtantes et lancinantes que je chantais avec délectation pénétraient les esprits les plus jeunes ou les plus ouverts pour les enivrer. Mais il avait toujours été d’une évidence sans faille à mes yeux que le geste devait être joint à la parole. Ainsi mêlés, ils formaient un mélange explosif. La mélodie qui accompagnait ma représentation faisait se balancer mes hanches dans un naturel sans excès. J’avais répété ce manège tant de fois que c’était ancré dans chacun de mes muscles, chacune de mes vertèbres, et je me trémoussais dans une folie très théâtrale. Le bar profitait de mes passages pour s’ouvrir à une clientèle plus large. Les plus jeunes membres de mon public ne pouvaient guère faire vivre une telle entreprise, mais ils ramenaient avec eux des parents qui s’installaient et consommaient en constatant avec effroi la fascination qu’avaient leurs jolies têtes blondes pour mes mouvements les plus éloquents. J’étais néanmoins bien moins provocatrice lorsque je me produisais dans les petits bars de Storybrooke que lorsque je donnais des représentations payantes. Pas que j’aie un quelconque souci des convenances, mais je n’entendais pas démontrer tout mon potentiel pour le simple plaisir de divertir des clients. Mes représentations ne servaient qu’à appâter de nouveaux publics, et à attirer les fans pour leur permettre de faire leur travail sur mon ego. Si quiconque souhaitait en voir ou en entendre plus, il n’avait qu’à allonger les billets.

Dans un dernier souffle, et un dernier mouvement de bassin, je laissai la musique s’amenuiser jusqu’à s’éteindre, rapidement remplacée par les acclamations. Mes soutiens du premier jour faisaient la part belle à mon orgueil en s’époumonant pour me féliciter, tandis qu’un public sans cesse renouvelé m’applaudissait à bâtons rompus. Les rares clients du Rabbit Hole qui n’étaient pas présent pour profiter de mon art se mêlèrent pour la plupart au grondement sourd qui enchanta mes oreilles. Tant d’énergie, même contenue, était enivrante, et me plaçait comme toujours dans un état second. Pour cet ultime instant, je me languissais de chacune des apparitions dont je gratifiais Storybrooke. Mais être trop présente n’était pas toujours judicieux, aussi gérais-je mon agenda avec le plus grand soin, pour ne pas lasser mon public et ne laisser Storybrooke en paix que le temps suffisant à pousser la soif de ses habitants à son paroxysme, sans jamais être éclipsée de leur conscience.

Sans perdre plus de temps en bain de foule, je quittai la scène improvisée du Rabbit Hole, daignant offrir quelques embrassades et poignées de main très fluides au passage. Un gorille vint bientôt éloigner les fans trop pressants, et je pus m’éloigner sans plus de peine. En passant près d’une table, une remarque attira mon attention. « Un verre ? Après tout ce travail tu dois avoir la gorge bien sèche. » Mon regard tomba sans joie sur le propriétaire de la voix qui venait de m’interpeller. Un sourire étroit marqua mes lèvres lorsque je réalisai à qui j’avais à faire. Jefferson. Homme un brin solitaire et asocial, mais qui ne requérait guère la présence d’autrui tant il ne semblait pas être seul dans sa tête. Aussi étrange soit-il, son originalité m’intriguait et me faisait sortir au moins un peu de ma torpeur habituelle. Nous avions déjà partagé quelques verres, aussi l’homme ne prenait-il pas de risque particulier à me faire sa proposition. Mais je n’eus pas le loisir de lui répondre directement, car une groupie particulièrement jeune passa outre la vigilance du gorille derrière moi pour me demander de signer son bras. D’une main j’empêchai l’armoire à glace qui me talonnait d’empoigner cette pitoyable gamine, lui offrant un sourire charmant avant de saisir le marqueur qu’elle me tendait. Sans un mot j’apposai ma marque sur son bras, tandis que je la voyais fleurir d’espoir. C’était parfait, petit colombe. Elle respirait mon parfum fruité et s’en délectait lorsque je lui rendis son bien sans un mot, un sourire toujours très tendre accroché aux lèvres. Elle me remercia avec toute la candeur inhérente à son âge, à grand renfort d’exclamations exagérées et d’hésitations embarrassées. Finalement, je me tournai vers Jefferson en répondant enfin : « Si tu penses être de taille à étancher ma soif. » Simple et efficace, je n’étais guère volubile lorsque je ne voyais rien à gagner. Levant la main, je fis signe à mon homme de main de s’esquiver, je pourrais me passer de ses services face à Jefferson. Ma sécurité n’était en clair guère en danger, mais j’aimais avoir un gros bras sur mes talons, cela servait mon égo.

Tirant la chaise qui faisait face à l’homme aux goûts vestimentaires particuliers, pour ne pas dire loufoques, je m’installai sans davantage de cérémonie. Malgré mon goût pour la mise en scène, il était des situations où je préférais ne pas faire semblant. Mon visage était parfaitement sérieux, quoiqu’affichant un air bienveillant qui était loin d’appartenir au panel de mes expressions authentiques, lorsque j’ajoutai : « J’aimerais un cocktail fruité, avec alcool bien sûr, surprenez-moi très cher. » Mon sourire s’étira, tandis qu’un éclat mutin se dessina au fond de mes prunelles. Mais cela restait encore très sage. Sans la moindre gêne apparente, je continuai sur ma lancée : « Mais si tu veux vraiment me satisfaire, tu risques de devoir me saouler avant d’y arriver. » Mon regard se voulait désormais joueur, avec une pointe de secret qui ne pouvait rendre le jeu que plus doux. « Si tu réussis à me suivre, alors j’aurais peut-être une idée des secrets qui se cachent derrière ta tête. » Mon visage se fit plus vorace, comme si les secrets que pouvaient bien abriter son étrange esprit m’intéressaient. Je n’étais pas d’une curiosité sans borne, je ne me passionnais que pour les affaires dignes d’intérêt, autrement dit dignes de m’apporter une quelconque fortune. Je doutais que Jefferson puisse m’offrir quoique ce soit de valeur, mais le jeu valait pour ce qu’il apportait en lui-même, pas pour sa fin.