Paige, habituée aux réactions un brin mégalomaniaques du mannequin -elle avait appris l'adjectif très récemment et le trouvait parfait pour quelqu'un comme Kwanita-, ignora totalement son brusque éclat de rire avec un petit haussement d'épaules. Elle ne comprit qu'un instant trop tard que l'euphorie -oui, oui, elle avait beaucoup enrichit son vocabulaire ces derniers temps- du jeune homme n'était pas du à la simple pensée de gagner cette course mais bien à une redoutable carapace qu'elle n'eut pas le temps d'esquiver. Elle eut un claquement de langue agacé à cause du commentaire bien peu agréable qu'y ajouta Kwanita. Elle ne s'énervait presque jamais du comportement de son ami mais, si il y avait bien un truc qu'elle détestait, c'était qu'il l'appelle "pauvresse". Comme si il y avait la moindre honte à avoir moins d'argent qu'un autre. Surtout lorsqu'on savait que Kwanita était né avec une petite cuillère en argent dans la bouche et n'avait jamais rien connu d'autre que le luxe. Alors oui, ces parents ne gagnaient pas autant d'argent et elle ne pourrait sans doute jamais habiter une grande villa mais ça ne la dérangeait pas. Du moment qu'elle était heureuse, que ses proches étaient en bonnes santé, elle ne demandait rien de plus.

Laissant le brun se perdre dans un monologue aussi inutile que blasant -sérieusement, se rendait-il seulement compte qu'elle avait dix ans ? Pas deux ou trois mais bien dix ans !-, elle respira doucement et profondément pour reprendre son calme. Elle devait se reconcentrer sur le jeu et vite si elle ne voulait pas perdre la partie. Et il était juste hors de question qu'elle perde : elle en entendrait parler jusqu'à la fin des temps. Et puis il était grand temps que le mannequin apprenne à perdre de temps en temps, ça ferait peut être du bien à son égo surdimensionné. Négociant un virage particulièrement serré, elle réussit à se remettre à la même hauteur que le Luigi de Kwanita. Elle n'hésita q'un court instant avant de tenter le tout pour le tout et de lui rentrer dedans. Par chance -ou talent, allez savoir !- ce fut Luigi et non Yoshi qui partit faire plus ample connaissance avec le décor. Et comme s'exclamait son ami quelques secondes plus tôt, ils étaient tout proches de la ligne d'arrivée. Ecrasant le bouton de l'accélération, elle fit franchir la dite ligne à son Yoshi avant de pousser un cri de victoire. « Tiens ! T'as vu ce qu'elle te met, la pauvresse, hein ? Elle est passée où, ta supériorité ? Oubliée au placard ! »

Un sourire victorieux sur les lèvres, Paige fixait son ami mannequin qui avait apparemment beaucoup de mal à digérer la défaite. Les yeux légèrement écarquillés et toujours fixés sur l'écran, il n'avait pas prononcé un mot. Pas que ce soudain silence ne dérange la jeune fille, au contraire. A vrai dire, elle aurait aimé en profiter plus longtemps mais ce plaisir lui fit refusé. Kwanita sortit de sa transe pour se mettre à hurler à la triche. La triche. Non mais comme si elle était du genre à tricher ? Surtout pour une simple partie de Mario Kart ! Mais pour qui la prenait-il au juste ? Désespérée devant tant de mauvaise foi, l'écolière ne savait pas trop si elle devait en rire ou en pleurer. Trop surprise pour régir -chacun son tour, apparemment-, elle regarda les serviteurs du jeune homme arriver dans la pièce, écouter les directives et repartir aussitôt. Vraiment, elle avait l'impression d'être tombée dans une mauvaise série télévisée : Kwanita était vraiment un mauvais jouer paranoïaque ! Et ces pauvres gens qui allaient perdre leur temps à faire le tour de la villa. Comme s'il y avait véritablement quelqu'un de caché dans les environs !

Regardant l'heure sur sa montre, la jeune fille remarqua soudainement que la matinée touchait bientôt à sa fin. Bien qu'elle adorait le sieur Muñoz -du moins quand il ne l'insultait pas de pauvresse ou de tricheuse-, elle allait bientôt devoir le quitter. Oui car elle avait des projets tout de même : il lui fallait passer chez Granny pour le déjeuner. Oui, elle n'avait pas de sous. Mais Granny était habituée à la voir débarquer et tenait rigoureusement à jour un petit calepin pour ce genre de visites. Ainsi, ses parents passeraient payer le soir-même comme il l'avait indiqué sur le petit mot qu'ils avaient laissé pour elle. Et avec un petit peu de chance elle croiserait son tonton Andrew ! Ensuite elle prévoyait de rendre une petite visite à Galaad puis de passer au magasin d'antiquités. Aussi bizarre que cela puisse paraître elle commençait à apprécier la compagnie de Mr Gold. Bref : elle n'avait pas que ça à faire et le mannequin semblait préférer gâcher le temps qu'il leur restait à essayer de trouver un complice imaginaire. Tout ça pour que Môssieur puisse soigner sa fierté et garder son égo intact. « Quand tu auras fini ta petite crise de paranoïa, fais moi signe. En attendant, je ne vais surement pas rester là toute la journée à attendre que tu trouves quelqu'un qui n'est même pas là ! Vraiment, si seulement tu arrêtais de sous-estimer les autres... Je t'ai battu à la loyal ! »

Quelqu'un pouvait-il avoir l'extrême amabilité de lui rappeler pourquoi elle était venu rendre visite à Kwanita ? En tout cas, elle, elle n'arrivait plus à trouver une raison logique qui pourrait expliquer cet élan de toute évidence clairement masochiste. S'il existait dans ce monde quelqu'un de plus buté et tête de mule que le mannequin, et bien elle souhaitait bien du courage aux gens de son entourage pour le supporter. En attendant, Paige en avait plus que sa dose. Quand est-ce que Kwanita comprendrait enfin qu'elle n'avait pas triché ? Surement jamais, songea-t-elle en le regardant s'énerver après quelqu'un qui n'était que le pur fruit de son imagination. Il était tellement persuadé d'être supérieur à tout le monde qu'il ne pourrait jamais accepter de perdre. Contre qui que ce soit. Et même si elle était consciente que ça n'avait rien à voir avec le fait que ce soit elle en particulier qui lui ait foutu la raclée, elle ne pouvait s'empêcher de se sentir blessée. Mince alors ! Elle était plus qu'une simple gamine, elle avait le droit de pouvoir savourer tranquillement sa victoire !

Levant de nouveau les yeux au ciel devant la leçon -comment pouvait-il appeler ça une leçon ?- du mannequin, Paige songea que le pire était surement qu'il était convaincu de la véracité de ses propos. Fou comme le brun avait l'air totalement déconnecté de la réalité... « Dans ce cas, si tu as perdu, et je te rappelle que je n'ai PAS triché, c'est peut être parce que tu n'es pas l'incarnation de perfection ! » Parce que oui, le sieur Muñoz était sur d'être cette incarnation vivante. Ridicule n'est-ce pas ? C'est à ce moment que les domestiques, visiblement fatigués des excentricités de leur maître, rentrèrent dans la pièce pour les informer qu'il n'avait trouvé personne. Et même comme ça, le jeune homme n'en démordrait apparemment pas. Et croyait-il sérieusement qu'elle avait envie de refaire une partie contre lui ? Non, surement pas. En tout cas, elle n'en referait pas tant qu'il n'aurait pas avoué qu'elle avait gagné, qu'elle avait été meilleure que lui. Et puis, elle avait d'autres personnes à qui rendre visite et elle n'allait pas laissé tomber son planning pour un nouveau délire de paranoïa du brun. « Faut vraiment que tu surveilles ces tendances paranoïaques. Je suis sur qu'une jour ça finira par te conduire droit à l'asile. En attendant, tu m'excuseras mais je n'ai plus envie de jouer avec toi. Bonne fin de journée Kwanita. » Et elle le planta là, s'en allant en direction de la sortie de la grande villa où elle récupéra sa bicyclette. Une fois installée sur la selle, elle n'avait plus qu'à pédaler direction le Granny's Dinner et bon vent au sieur Muñoz !