Introduction Époque du sujet : Actuelle Date du sujet : Février 2012 Ordre de passage des participants : Aiden - Eleanor

Je me souviens toujours des clients réguliers. Même si leur régularité est de l’ordre d’une fois par mois. Tant qu’ils viennent à intervalle régulier, je m’en souviens. Je me souviens de leurs goûts musicaux, du bruit de leurs pas, du son de leurs voix. Alors fatalement, je me rends compte quand un client régulier ne vient plus pendant un temps. Surtout quand ce sont des clients qui passent pas mal de temps à discuter avec moi, que ce soit de musique, de leurs petits problèmes, ou simplement à me demander conseils pour choisir un disque. Eleanor fait partie de ces gens. Une jeune femme charmante, qui m’achète régulièrement des partitions pour piano…Alors forcément, on a discuté. On a partagé nos expériences avec le piano, nos chanson favorites, nos morceaux préférés. Bref, la musique a permis notre rencontre. Alors quand elle a commencé à ne plus venir durant près de deux mois, au départ je me suis dit qu’elle n’avait plus forcément autant de temps qu’avant, puis les jours s’égrenant en semaines commencèrent à laisser la porte ouverte à l’inquiétude. Car je m’attache aux gens avec qui je passe du temps à discuter.

Au bout d’un moment, j’ai fini par me décider à aller la voir. Chercher à comprendre ce qu’il s’est passé. Je peux peut-être même l’aider. Bon, là, c’est partir probablement un petit peu loin, mais je suis du genre optimiste et espérant. Je suis allé chercher son adresse grâce à sa carte de fidélité du magasin. Je m’y suis rendu, avec de l’aide, mais on m’a appris là-bas qu’elle avait déménagé entre temps. Ca encore, ce sont des choses qui arrivent, ce qui m’a le plus inquiété en apprenant cela, c’est qu’elle était en train de divorcer de son mari. Là, je dois avouer que je ne m’y attendais pas. Elle qui semblait si heureuse avec son mari…Cela me fit redoubler d’effort pour la retrouver et lui faire comprendre que j’étais là pour l’aider. Je ne sais même pas pourquoi je voulais tant l’aider. Mais le fait est là. Je suis inquiet. Point final.

J’ai finalement réussi à trouver sa nouvelle adresse, en plein dans le centre-ville. Comme quoi, en fait, je n’avais pas tant de chemin que ça à faire pour la trouver. Arriver devant ce que j’espérais être sa porte (si les numéros cloués sur les portes étaient vrais) je toquai, attendant patiemment qu’elle m’ouvre, écoutant attentivement ce qu’il se passait de l’autre côté de la porte, des fois que ses pas approche ou non.

Deux mois et trois semaines. Presque trois mois. Presque trois foutus mois qu'Eleanor avait surpris cet espèce de goujat qui se faisait alors appeler son mari avec une autre femme. Dans leur lit, pour rendre la chose tellement plus cocasse qui plus est. Et comme dans cette foutue ville personne ne semblait jamais décidé à partir, il lui avait fallu un mois pour trouver un appartement dont elle pourrait payer le loyer seule. Bien sur, une fois que sa nouvelle résidence fut trouvée, elle n'eut qu'à faire ses valises et bon vent ! Mais après quoi ? Il lui fallait trouver un travail. Et vite. Alors la jeune blonde passait ses journées chez Granny, lisant le journal avec attention, essayant de trouver une offre qui ne demandait pas beaucoup de qualification. Pour l'instant, rien ne semblait convenir. Elle avait déjà passé un bon nombre d'entretiens, tous soldés avec des hypocrites "On vous rappellera". Et naïvement elle avait attendu près du téléphone. Sans qu'il sonne, à moins que ce soit son avocat qui tente de la joindre pour la procédure de divorce. Quant à son ex mari... Et bien ça ne faisait qu'une mince semaine qu'il avait arrêter d'essayer de l'appeler pour s'excuser. Et Dieu que ça faisait du bien ! Oh, elle était dans une piètre situation, elle était au courant. L'appartement était petit et la moitié de ses affaires étaient encore dans des cartons. Mais elle était chez elle. Elle avait enfin réussi à se sortir de cette parodie de mariage et, avec les preuves de l'adultère, elle arriverait surement à extorquer une coquette somme d'argent à son ancien époux.

En attendant, elle se reconstruisait une nouvelle vie. Elle prenait peu à peu ses habitudes dans le petit restaurant, prenait le temps de se balader en forêt -activité qu'elle n'avait jamais pratiqué avant- et il lui arrivait même de se mettre en pijama de bonne heure et de s'installer devant une quelconque série à la télévision avec un plat passé au micro-onde. Fini de mettre la table et de s'occuper du repas avec un tablier passé au dessus d'une tenue impeccable en attendant que son compagnon daigne rentrer du travail. Elle pouvait enfin prendre un peu de temps pour elle et ça, bon Dieu, c'était vraiment ce qu'il y avait de plus agréable. Tout ce qu'elle avait raté en ne profitant pas dignement de la vie de célibataire ! Bien sur, il n'y avait pas que de bons côtés et pour éviter toute tristesse supplémentaire, la blonde faisait attention à ne pas retourner à ces anciennes habitudes. Cela allait de ses anciennes connaissances qu'elle ne revoyait plus -de toute façon, elle ne pouvait pas vraiment dire être particulièrement proche de quelqu'un- à ses anciens loisirs qu'elle avait laissé tomber. Seul restait son jogging quotidien le matin. Par contre, elle avait laissé tomber le piano dans le même temps. De toute façon, même si son mari l'avait laissé faire, elle n'aurait pas pu trouver de la place dans son petit appartement pour l'instrument à queue qu'il lui avait offert pour leur troisième anniversaire de mariage.

Bref. Toujours est-il qu'en cette magnifique et froide journée de février, elle s'était levée de bonne heure, avait couru tout son saoul avec ces écouteurs vissés dans les oreilles puis été rentrée chez elle pour prendre une bonne douche chaude. Ah, ce que la grande baignoire pouvait lui manquer dans ces moments là...! Une fois sortie elle avait filé chez Granny pour éplucher le journal du jour avec un bon café, prenant son temps. Ne trouvant rien d'intéressant et après avoir discuté de tout et de rien avec un autre client, elle était rentrée chez elle un peu après midi. Là elle s'était fait une savoureuse omelette qu'elle avait mangé seule puis avait mis des pâtisseries à cuire. En attendant, elle s'était installé sur le canapé en cuir avec un bouquin en main, le plaid sur les genoux. Une petite après-midi des plus tranquilles comme elle les aimait. Pourtant, alors même qu'elle n'attendait aucune visite, des coups l'interrompirent dans sa lecture. « J'arrive ! » Laissant le bouquin sur la table basse et le plaid sur le fauteuil, elle lissa sa jupe beige avant d'aller ouvrir la porte. Quelle ne fut pas sa surprise de découvrir Aiden devant sa porte, le vendeur du magasin de musique dans lequel elle avait l'habitude de venir trois à quatre fois par semaine. Elle n'y était pas retourné depuis l'accident. Et ne l'avait donc pas revu. Mais le voilà devant sa porte, presque trois mois après la dernière fois. Plus qu'étonnée, elle s'écarta pour le laisser rentrer dans le petit appartement. « Aiden ? Je ne m'attendais pas à te voir, désolée. Mais rentre, je t'en pris. Je... Je peux te proposer du thé et des cookies qui sortiront du four dans deux minutes. Tu voulais quelque chose en particulier ? » Tout en parlant, elle s'était naturellement dirigée vers le canapé et elle lui effleura le bras. « Tu peux t'asseoir ici si tu le souhaites. » Eleanor devait l'avouer, elle était un peu stressée de revoir un visage familier de son ancienne vie dans le petit appartement. C'était comme si la nouvelle vie qu'elle essayait de se construire ne pourrait pas effacer ses anciennes erreurs. Elle serra ses bras sous sa poitrine, les mains légèrement tremblantes et prit une profonde respiration pour se calmer, laissant enfin le temps à son visiteur d'en placer une.

La voix d'Eleanor me parvint, légèrement étouffée à cause de la porte qui de trouvait entre nous, mais elle était là. J'aurais été bien embêté si ça n'avait pas été la cas. J'avais demandé un congé exceptionnel pour essayer de venir la voir, mais j'étais tout de même limité. Je ne pouvais pas le déplacer sur de trop longues distances; j'aimais marcher et avais fini par devenir un habitué de la marche à pied, bien plus que la plupart des habitants de la ville il fallait le dire, mais il y avait des endroits que l'on ne peut atteindre qu'en voiture. Si elle avait été dans un de ces endroits, je me serais retrouvé mal. Mais non; elle était bien chez elle, ouvrant la porte au bout de seulement quelques secondes. Il y a des fois où je regrette de ne pas voir...Ne serait-ce que pour voir l'expression faciale de certaines personnes en se retrouvant face à quelqu'un qu'ils n'attendaient pas. Bon, la vérité était que j'aurais bien voulu voir tout court et profiter de tous les stimuli visuels qu'offrait le monde. Ce n'est cependant pas à ma portée alors je me contente de tous les autres stimuli que le monde voulait bien me donner. J'eus un petit sourire amusé, alors qu'elle annonçait qu'elle ne m'attendait pas. Oui, c'était un peu le but.

"Je sais que je passe un peu à l'improviste mais nous n'avions plus ton numéro à la boutique."

J'entrai dans l'appartement, ma canne blanche en avant afin de détecter les possibles obstacles. Je fus apparemment chanceux, Eleanor semblait être une femme ordonnée. Je rencontrais bien un ou deux obstacles que je supposais être des cartons, mais uniquement sur les périphéries; la gros du chemin était dégagé, merci bien. Je tournai la tête vers la jeune femme, mes yeux ne se focalisant pas, mais quand le faisaient-ils? Et lui offrit un grand sourire.

"Ça sera avec plaisir Eleanor, surtout si tu le prends par les sentiments avec tes cookies." je pris place sur le canapé qu'elle me désigna, avant de l'agiter d'un coup, prenant mon sac et farfouillant dedans jusqu'à en sortir une liasse de feuilles "Je venais t'apporter les partitions que tu avais commandées. Et...Savoir si tout allait bien."

J'avais préféré éviter de dire que je savais pour son divorce, parce que ce n'est pas le genre de choses que l'on aime voir aborder par quelqu'un d'autre que soi. C'était le genre de sujet qui était trop personnel pour être aborder par un presque étranger. Car je ne me faisais pas d'illusions, je n'étais pas beaucoup plus qu'un étranger pour elle. On s'aimait bien et on jouait tous les deux du piano, mais ça s'arrêtait là. Si j'étais venu la voir après ses presque trois mois d'absence, c'était parce que je m'inquiétais pour elle, c'est vrai; ça ne voulait pas dire qu'elle en ferai autant, même si elle avait tout de la chic fille, je le concède avec très grand plaisir.

Eleanor eut une petite grimace alors qu'Aiden lui annonçait que la boutique n'avait plus aucun moyen de la joindre : elle ne le savait que trop bien, elle avait indiqué le numéro fixe de la demeure conjugale quand le vendeur lui avait demandé un téléphone où la joindre. Et comme elle n'avait pas remis les pieds là-bas, les informations devaient être inchangées. Après tout elle voyait mal son ex-mari prendre la peine de se rendre dans un magasin qu'il n'avait jamais fréquenté avant. Sans repenser à ces quelques détails techniques, la blonde referma la porte de l'appartement derrière son invité surprise. Les claquements de la longue canne blanche dans son petit appartement lui donnait l'étrange impression d'être revenue des mois en arrière, dans la boutique remplie d'instruments et de partitions. Le regard d'Aiden s'était posé légèrement sur sa gauche, semblant fixer un des cartons restés fermés. Etrangement, après ces trois mois sans l'avoir revu, cela ne troubla pas Eleanor. Elle s'état déjà habituée à la canne et aux yeux incapables de la voir depuis longtemps. Ce serait mentir que dire que ça ne l'avait pas longtemps perturbé mais à force de venir et revenir chercher des partitions et discuter avec le vendeur, elle avait fini par ne plus y prêter la moindre attention. Non, vraiment, si cela lui faisait bizarre c'était uniquement parce qu'elle ne s'attendait pas à cette visite.

La jeune femme accueillit la remarque sur sa cuisine avec un petit rire, se dirigeant vers le coin cuisine uniquement séparé du coin salon par un bar américain. Elle avait mis un peu de temps à se faire à l'espace réduit, habituée à la grande cuisine aménagée par ses soins, mais elle avait maintenant ses repères. Saisissant la théière, elle mit de l'eau à chauffer, et sortit les cookies du four. Niveau timing, Aiden n'aurait pas pu tomber mieux. Disposant les pâtisseries sur une assiette en carton elle revint au canapé, déposant la nourriture sur la petite table basse. « Il va falloir attendre qu'ils refroidissent un petit peu, mais j'ai l'impression de ne pas trop avoir raté les cookies. » Elle avait encore en souvenir la première fois qu'elle avait essayé d'en faire avec ce four et ça n'avait pas été franchement joli à voir.

Elle s'assit elle aussi sur le canapé à côté de son invité, l'observant avec une pointe de curiosité alors qu'il fouillait dans son sac. Il en sortit finalement un paquet de feuille qu'il lu tendit et qu'elle prit d'une main peu assurée. Aiden était vraiment une personne en or. Elle était partie sans donner aucune nouvelle -pourquoi faire ? Elle était juste une cliente, pas membre d'une secte.- et voilà qu'il réapparaissait pour lui apporter une commande dont elle ne se rappelait même plus. Et pour savoir comment elle allait. D'ailleurs comment allait-elle ? Elle-même ne savait pas trop. Elle ne savait pas car elle était encore partagée entre la tristesse et la colère d'un côté et le soulagement d'en avoir fini avec tout ça de l'autre. Elle avait une nouvelle vie, et elle commençait à bien aimer cette nouvelle vie. Même si dorénavant les partitions ne lui sauraient d'aucune utilité, à moins qu'elle réussisse à faire entrer un piano droit dans ce minuscule salon. Peut être une fois les modalités du divorce finalisées aurait-elle l'argent nécessaire pour s'en acheter un... En parlant de nouvelle vie, l'adresse qu'elle avait donné au magasin n'était-elle pas celle correspondant au numéro de téléphone ? Comment Aiden avait-il réussi à trouver son nouveau logement ? « Merci... Je les avais complètement oubliées à vrai dire. Je ne sais même pas quoi en faire : pas de piano, ici. »

Le sifflement de la théière l'interrompit et elle s'empressa d'aller la retirer du feu, préparant deux tasses de thé qu'elle ramena aussitôt. Elle glissa celle destinée au vendeur dans ses mains avant de poser la sienne à côté de l'assiette de cookies. Elle reprit la conversation là où elle l'avait laissée. « Tu as du te donner beaucoup de mal pour ça, je ne sais même pas comment tu as eu cette adresse. Je suis désolée, j'aurais dû venir les chercher. » Oui, elle aurait dû. Elle n'en a juste pas eu le courage. « Enfin, bienvenue dans mon humble nouvelle demeure. Comment vas-tu et comment ça va au magasin ? » Oui, elle n'avait elle-même pas répondue à cette question. Mais comme elle ne savait pas quoi dire, autant laisser la parole à un autre, n'est-ce pas ?

Je fis un signe à Eleanor qui signifiait qu’attendre que les cookies refroidissent n’étaient pas un problème. Les cookies étaient certes un bonus très plaisant, mais j’étais surtout là pour la jeune femme qui les avait préparés. C’est en sentant le papier se plier entre ses doigts qu’il compris qu’elle s’était saisi des partitions que je lui avais amenées et je les lâchais, la laissant les manipuler à sa guise à présent. Qu’elle ne s’inquiète pas du règlement, je m’en étais chargé. Considèrerait-elle que c’était trop de ma part ? Probablement. C’était souvent la réaction qu’avaient les gens quand on faisait quelque chose d’aussi altruiste pour eux. La générosité ne m’était pas étrangère ; on m’en avait largement donné quand j’étais plus jeune et c’était aujourd’hui mon tour d’en rendre un peu avec Eleanor. Je le faisais avec grand plaisir par ailleurs. Elle était une femme d’exception avec des doigts de fée au piano et un don pour la cuisiner certain. Ou alors des années de pratique qui, au final, revenait presque au même. Elle était aussi une femme absolument charmante avec une voix douce et parfaitement balancée. Pas trop aigüe, pas trop grave, juste ce qu’il fallait de velours et de cristal. J’adorais l’écouter parler, elle était intéressante et combiné à sa voix c’était du miel pour les oreilles. Ce qui n’était pas négligeable pour quelqu’un comme moi.

Et là, c’est le drame. Elle m’annonce une nouvelle qui me fend le cœur : elle n’a plus de piano. Voilà qui était fâcheux alors que je lui amenais de nouvelles partitions. Je lui aurais bien proposé de venir jouer au magasin, ça fera de l’animation et elle pourrait profiter du piano gratuitement, mais je doute que cela lui convienne. Si elle avait voulu elle aurait pu venir quand elle le souhaitait. Le fait qu’elle ne soit plus passée par le magasin depuis plusieurs mois dénotait qu’il y avait un problème quelque part.

"Oh, c’est dommage, tu jouais extrêmement bien du piano…"

Je fus interrompu par la théière qui sifflait son mécontentement de se faire chauffer les fesses trop longtemps, ce qui ne me dérangea pas outre mesure. Je ne savais pas trop quoi lui dire de plus sur le sujet. Je lui laissais les partitions de toute façon, peut-être qu’avec un peu de chance elles la motiveraient à s’acheter un piano droit. Ce qui n’était pas certain, étant donné que je ne pouvais me visualiser la configuration – et surtout la taille – de l’appartement, je ne pouvais savoir si le manque de piano était un problème de place ou bien autre chose. La chaleur de la tasse de thé se fit proche de mes doigts alors je les étendis pour finalement sentir la tasse de poser entre mes mains d’un geste délicat. Je vous l’ai dit, cette femme est une perle. Puis vint la question qui me fit quelque peu rougir. Non pas de honte ou d’embarras, mais plus comme un enfant pris la main dans la boîte à cookies. C’est vrai que trouver sa nouvelle adresse s’était révélé être un véritable parcours du combattant.

"Un magicien ne dévoile jamais le secret de ses tours ma chère." J’eus un sourire taquin et pris une gorgée de thé "J’ai tiré quelques ficelles chez certaines connaissances, des gens ayant aussi des dettes envers moi. Ce ne fut pas si difficile que cela en fait. Quand on sait à qui demander."

Une petite bouffée de fierté m’envahit. Je n’étais pas du genre vantard mais de temps en temps ça ne faisait pas de mal de se lancer des fleurs. Elle me retourna une question à laquelle elle n’avait pas répondu elle-même. Intéressant…Ça allait si mal que cela ?

"Eh bien…ma foi ça va. Les affaires marchent bien et les gens ont commencé à comprendre que le remettre un disque dans son rayon n’était pas la mer à boire. Donc on peut dire que ça va bien." J’eus une légère hésitation à continuer "Mais toi, je sens que ça ne va pas si bien que ça. Tu sais, si tu as besoin de parler, je suis là."

Un peu présomptueux de ma part peut-être, mais c’était vrai. J’étais souvent la bonne oreille attentive à ce que les gens me racontaient. Plusieurs clients venaient au magasin uniquement pour déverser leurs malheurs chez quelqu’un. Le psychologue avait déjà beaucoup de patients – bien que je ne prétende absolument pas à lui voler de sa clientèle – et certains avaient juste besoin d’être écoutés, pas conseiller, pas pour discuter, juste vider leur sac un grand coup. Et j’étais, visiblement, une des personnes de prédilection pour cela.

Le sifflement de la théière retentit juste à temps pour empêcher Eleanor d'avoir à affronter un magnifique compliment. C'était une chose étrange, mais elle était obligée d'avouer qu'elle n'avait jamais été friande de ce genre de chose. Elle ne savait pas pourquoi mais, à chaque fois, elle se sentait gênée, comme si les gens voyaient en elle quelque chose qu'elle ne percevait pas, quelque chose qui mériterait qu'on y prête attention. Depuis toute petite, elle adorait rester dans l'ombre, sans qu'on la remarque. Prendre soin des autres sans que personne ne s'en rende compte ? C'était peut être là son voeux le plus cher. Mais, pour en revenir à ses talents pianistiques, elle les devait surtout à une intense pratique depuis l'âge de huit ans. Et ce serait tout de même malheureux que tant d'années n'aient pas permis un bon maniement de l'instrument. Pourtant, elle avait l'intime conviction que Aiden jouait bien mieux qu'elle. La blonde ne savait pas pourquoi mais elle n'arrivait pas à faire passer autant de sentiment que le vendeur dans sa musique. Peut être était-ce tout simplement à cause de sa manie de tout le temps les contrôler, de l'horreur qu'elle avait à les exposer aux autres. Quoiqu'il en soit, l'important était qu'elle n'avait pas à y répondre Dieu merci.

De retour sur le canapé, elle attendit la réponse à ses questions en soufflant doucement sur sa propre tasse de thé, espérant par là faire baisser la température du liquide afin de s'éviter une handicapante et douloureuse brûlure. Elle remarqua avec amusement que le jeune homme rougit comme si elle l'avait surprit en train de voler un cookie. Finalement, une fois la surprise et l'inconfort passés, ce n'était vraiment pas désagréable que de le revoir. Eleanor avait toujours apprécié le caractère calme, optimiste et la bonne humeur qui se dégageait du vendeur. Elle eut un léger rire alors qu'il répondait sans vraiment trop l'éclairer, gardant une part de mystère quant à ses sources. Et étrangement, il ne vint pas à l'idée de le jeune blonde de le questionner là-dessus. « Je crois que j'ai toujours été trop curieuse pour savoir savourer un bon tour de magie. Mais apparemment, j'ai à faire à un homme beaucoup plus influent que ce que j'avais imaginé... Collecterais-tu les dettes comme ce très cher Monsieur Gold, Aiden ? » La question, posée sur un ton délibérément amusé, n'en était pas vraiment une. Après tout, elle s'imaginait assez mal le propriétaire de la ville se servir des dettes que les gens avaient accumulé auprès de lui pour apporter quelque chose à une connaissance dont il n'avait pas eut de nouvelles depuis longtemps. Quoique, Eleanor ne savait absolument rien de la vie privée de cet homme. Rien que le fait de penser qu'il avait une vie privée semblait déplacé... Avec un frisson, elle chassa bien vite de ses idées tout ce qui avait à voir de près ou de loin à cet intrigant personnage, préférant préserver sa santé mentale.

Prenant quelque gorgées de thé, elle écouta Aiden lui parler des affaires de la boutique, hochant la tête avec un mince sourire quand elle apprit que les disques finissaient par rejoindre leur bonne place. Comme quoi, l'humanité était capable de s'améliorer, si ce n'était pas une bonne nouvelle ça ! Pourtant la suite des paroles lui fit reposer délicatement la tasse sur la petite table basse. Finalement sa "non-réponse" n'était pas passée inaperçue et elle n'avait pas réussi à faire une grande distraction. Comme quoi, des fois, le monde jouait contre vous. L'affirmation du jeune homme la mettait aussi mal à l'aise qu'un compliment et, instinctivement, elle voulu tripoter son alliance, geste qu'elle avait adopté pour remédier à sa nervosité. Cependant, il n'y avait plus le moindre anneau à son doigt et elle poussa un soupir, s'efforçant de répondre aux inquiétudes que le vendeur semblait avoir. « Je crains ne pas être tellement plus douée pour parler... Mais je crois aller aussi bien que possible étant donné les circonstances, merci. » Consciente qu'elle n'en disait pas beaucoup et qu'elle avait surement pu paraître un peu froide, Eleanor ne savait pour autant pas quoi ajouter pour détendre l'atmosphère aussi elle s'empara d'un des cookie et croqua dedans. La température était idéale : le biscuit n'était pas brûlant mais encore tiède. Et le goût n'avait rien à voir avec celui de l'horrible essaie précédent. « Les cookies ont assez refroidi et je pense ne pas me tromper en disant qu'ils sont plutôt réussis. »

Eleanor tira un rire franc et massif de ma gorge. C’était assez amusant, en un sens, de me faire comparer au propriétaire de la ville. Ça devait bien être la première fois que l’on me comparait à cet homme. Je finis par hausser les épaules, un geste évasif qui voulait tout dire et rien dire. J’aimais bien garder cette espèce de mystère autour de moi. Bien des gens en savaient beaucoup sur moi, ce que je faisais, mon caractère, où je vivais, ce que je mangeais au déjeuner, qui je voyais régulièrement, ce que j’aimais le plus…Pourtant je conservais toujours une partie de mes pensées pour moi, par le simple fait de ne rien refléter de mon état d’esprit via mes yeux. Des fois ça m’arrangeait bien, des fois c’était juste embêtant. Mais passons.

"Non, quand même pas. Mais on peut vite trouver des bonnes âmes prêtes à vous aider dans cette ville."

Ce qui était vrai…Jusqu’à un certain point. Il était assez facile de trouver des informations dans cette ville, à condition de savoir le prix pour les dites informations et d’être prêt à payer le prix en question. Bon, au demeurant, découvrir la nouvelle adresse d’Eleanor avait plus relevé de savoir qui connaissait les meilleurs potins et donc les dernières nouvelles qu’autre chose. Ça m’attristait que cette femme qui n’était rien d’autre que gentillesse et bonté se retrouve dans la section « potins en tout genre » de Storybrooke. Pourtant on finissait tous par y passer un jour ou l’autre, non ? Surtout ces derniers temps, les gens défilaient dans la catégorie potins du journal de la ville. Quelque part, ça me semblait un peu étrange, mais bon…J’ai appris à ne pas me poser trop de questions avec ces histoires de coïncidences et de possible destin, sort ou quoi que ce soit. Ça avait tendance à me miner le moral. Pourtant, ici, ce n’était pas moi le plus à plaindre niveau moral. C’était Eleanor, peut importait ce qu’elle me disait, je le sentais. Elle n’allait pas bien et, même si c’était normal vu sa situation, le fait qu’elle n’en parle pas m’inquiétait. Des choses pareilles, on a besoin d’évacuer. Il ne m’était rien arriver du genre et pourtant…C’était un sentiment qui me semblait si familier.

Encore une fois elle évita le sujet et je compris que je ne devais pas tenter d’insister, même si je voulais uniquement l’aider. Les cookies redevinrent le sujet de conversation et, distraitement, j’en pris un, croquant dedans.

"Ils sont délicieux Eleanor. J’aurais dû demander de me faire payer en cookies plus tôt si j’avais su !"

Un silence tranquille et calme s’installa entre nous, alors que je dégustais paisiblement le cookie qu’elle m’avait offert. Le fait que je ne dise rien ne voulait pas dire que je ne réfléchissais pas. La preuve, une simple phrase d’Eleanor, en y repensant, me donna une idée. Je pris cependant le temps de terminer mon cookie avant de prendre la parole. Il fallait que je trouve comment lui faire passer ça.

"Et si tu n’avais pas besoin de parler ?" je me tournai un peu plus vers elle "Tu as besoin d’évacuer…Quoi que ce soit que tu gardes. J’ai un sixième sens pour ce genre de choses. Et si parler n’est pas la solution, je pense avoir une autre idée…" je fis une nouvelle pause avant de lui offrir un sourire prometteur "Est-ce que tu as déjà chanté ?"

Eleanor retint une remarque sarcastique devant les explications d'Aiden sur la façon dont il avait trouvé sa nouvelle adresse. Certes, il était difficile de nier la présence de bonnes âmes dans leur petite ville : le docteur Hopper, Granny et Ruby, Mademoiselle Blanchard ou Aiden lui-même pour ne citer qu'eux. Cependant, la blonde était persuadée que la proportion de commères en tout genre dans leur belle communauté était bien plus élevée et qu'il était d'ailleurs beaucoup plus facile d'obtenir des informations de ce genre de personnes. Mais dire des choses aussi amères et tristement réalistes ne lui ressemblait pas, et encore moins remettre en doute la parole d'un invité aussi attentionné que le jeune vendeur. Pourtant, elle ne pouvait s'empêcher de se sentir légèrement agacée d'être un des nouveaux sujets de ragots -parce qu'elle n'était pas dupe et qu'elle savait bien ce que les gens disaient-.

Alors pour se changer les idées et virer toutes ses sombres pensées de sa petite tête blonde elle finit son cookie en quelques bouchées, notant mentalement qu'une ou deux minutes de cuisson supplémentaires feraient peut être la différence la prochaine fois. D'ailleurs elle eut un petit rire devant le compliment suivant, quoique légèrement gênée. D'un côté, elle était tout de même bien heureuse de voir qu'on appréciait sa cuisine, sachant qu'elle avait passé beaucoup de temps ses dernières années à s'y consacrer. « Il n'est pas trop rare, si ça t'inquiète ! De toute façon, il y en a trop pour que je les finisse seule. » Parce que, comme la bonne cruche qu'elle était, elle en faisait toujours trop et n'arrivait décidément pas à penser à réduire les quantités par deux. Drôle comme les petits réflexes avaient la vie dure, n'est-ce pas ? Alors que tout le reste semblait être enfin resté derrière, à chaque fois qu'elle préparait un petit plat elle ne pouvait pas faire autrement. N'empêche que voir Aiden savourer le cookie lui mettait un peu de baume au coeur et comblait illusoirement pour un instant la solitude qu'elle ressentait.

D'ailleurs le jeune homme ne tarda pas à reprendre la parole, revenant au sujet qui semblait réellement l'intéresser : comment elle allait. Ou plutôt comment lui remonter le moral, puisqu'il était apparemment si évident qu'elle n'allait pas bien qu'il était juste question de l'aider à se défouler. Se défouler. Peut être bien qu'il avait raison et que c'était justement ce dont elle avait besoin : elle ne se souvenait pas avoir fait pareil chose depuis... Et bien de puis trop longtemps, jugea-t-elle en jetant un coup d'oeil sur l'ours en peluche qui la fixait depuis le bar américain. Un autre souvenir qu'elle ne pourrait sans doute jamais laisser derrière elle. Mais de là à chanter ? Aiden ne pouvait pas être sérieux, n'est-ce pas ? « Je chante, oui, comme tout le monde : sous la douche ou quand je cuisine. Mais, franchement, à ta place je ne prendrai pas le risque de m'écouter : je ne pense pas que tes oreilles aient vraiment besoin de ça. » A vrai dire, Eleanor n'avait jamais osé chanter devant qui que ce soit. Elle s'était elle-même persuadait qu'elle ne supporterait pas bien le ridicule de la situation.

Visiblement il n’était pas trop tard pour que je me fasse payer en cookies ; même si à l’origine et encore maintenant, c’était juste une blague me servant à complimenter sa cuisine. D’ailleurs je n’hésitai pas à reprendre un cookie, ils sont vraiment très bons…Tout en écoutant Eleanor me répondre. Qu’elle se rassure, je ne m’attendais pas à ce qu’elle me dise chanter depuis toute petite et qu’elle regrettait de n’avoir plus assez de temps ou je ne sais quoi pur continuer. Cependant il doutait qu’une jeune femme avec une oreille musicale comme la sienne chante vraiment mal. Qu’elle ait du mal avec le rythme d’une musique, ça s’apprenait, ou même si elle avait du mal à atteindre une note. De toute façon, ce que je pensais lui faire faire n’était pas du niveau pour devenir une rock star non plus, même pas de chanter en public (sauf si elle le décidait d’elle-même, mais je ne le prévoyais pas), juste qu’elle chante pour évacuer. Ca ne nécessitait qu’une pièce avec un piano et elle. Point final. Je terminai le cookie rapidement avant de reprendre la parole.

"Crois-moi Eleanor, je pense que mes oreille ont entendu pire au magasin. Je t’assure, certains n’ont pas de pitié pour les pauvres vendeurs que nous sommes moi et mes collègues. En plus, là c’est moi qui le demande je ne pourrais m’en prendre qu’à moi-même si c’est si terrible que cela."

Ca et que sincèrement, je ne pensais pas risquer grand-chose. Mes oreilles avaient beau être plus sensibles pour des raisons logiques dues à mon handicap, je pouvais tout de même entendre beaucoup. Alors même si ce n’était pas de la grande chanson, je voulais entendre la voix d’Eleanor, juger par moi-même la voix que j’allais faire travailler pour le plus grand bien de sa propriétaire, j’espérais du moins. C’était mon but mais si elle était réellement contre l’idée, je ne la forcerais pas, bien évidemment. Je n’étais pas un tortionnaire. Tout ce que je voulais c’était l’aider à tourner la page, à ma manière. Les grands discours d’encouragement et de compassion c’était bien joli, mais j’étais intimement convaincu que si on voulait vraiment aider les gens, il fallait leur montrer que d’eux-mêmes ils pourraient y arriver. Ce renouveau devait venir d’eux-mêmes, pas des autres.

"Chantes un petit quelque chose Eleanor, pour moi. Je t’assure, quoi que tu chantes je pense avoir entendu pire."

Je cherchai un peu sa main avant de réussir à poser la mienne sur cette dernière.

Si l'idée de chanter devant quelqu'un d'autre que les pâtisseries qu'elle préparait avait mis Eleanor mal à l'aise, la réplique d'Aiden la fit tout de même rire. Elle imaginait assez facilement à quel point ce devait être éprouvant de travailler dans un magasin de musique, surtout que la plupart des clients ne se gênait pas pour pousser la chansonnette dès qu'un morceau qu'ils connaissaient passait. Vraiment, Aiden devait vivre un genre de calvaire quotidien. Et il devait sans aucun doute être un brin masochiste pour se proposer de revivre ça en dehors de ses heures de travail, tout ça pour l'aider à "se défouler" comme il le disait. La blonde ne répondit rien, se contentant de fixer l'assiette de cookies. Ce serait mentir de dire qu'elle n'avait pas envie de trouver un moyen efficace de relâcher tous les sentiments qu'elle s'efforçait de contenir depuis surement trop longtemps. Pourtant, elle doutait. Elle appréciait beaucoup le vendeur mais ne le connaissait pas vraiment en dehors de la boutique et, de plus, elle savait parfaitement que son ouïe était plus sensible que la normale. Elle ne savait vraiment pas si c'était une bonne idée que de risquer de lui refiler une migraine.

Elle n'avait toujours rien dit que le jeune homme reprenait déjà la parole, la pressant de se mettre à exécution. Elle vit sa main hésiter un petit peu, tâtonner sur le bord du canapé avant de se poser doucement sur la sienne, comme pour la mettre en confiance. Et bordel ! Comme si elle pouvait refuser quelque chose à quelqu'un d'aussi adorable et généreux qu'Aiden ! Eleanor serra doucement la main du vendeur, un moyen comme un autre de lui signifier qu'il avait gagné. Elle poussa un soupir et essaya de trouver une chanson. Une seule lui venait en tête, triste certes, mais elle ne pensait pas qu'Aiden s'attende à l'entendre chanter un tube entraînant et joyeux. Fermant les yeux, elle prit une grande inspiration pour se donner du courage et s'empêcha de penser que chanter a capella n'était pas forcément la meilleure des options pour les oreilles du musicien. Après tout, comme il l'avait dit, il n'aurait qu'à s'en prendre à lui même. « I shot for the sky, I'm stuck on the ground. So why do I try ? I know I'm gonna fall down. » Elle serra un peu plus fort la main du jeune homme, essayant de se concentrer sur les paroles et le sens qu'elle voulait leur donner et, surtout, tentant de faire disparaître le sentiment de ridicule. Plus elle avançait dans le refrain, plus la blonde prenait confiance en elle et se laissait aller, se libérant d'un poids qu'elle n'avait jusque là pas vraiment eu conscience de porter. Finalement la fin de la musique arriva bien plus vite que prévue et elle rouvrit doucement les yeux, reprenant peu à peu conscience de son environnement. Elle relâcha la main du vendeur et lui adressa un petit sourire. « Ce n'était peut être pas une si mauvaise idée que ça. En tout cas je suis forcée d'avouer que ça m'a fait un peu de bien. Tes oreilles ne saignent pas trop ? »