Une pression sur ma main, simple, sans tracas et sans apparence, voilà le signal que me donna Eleanor pour me donner son assentiment à chanter. Je ne pus empêcher le sourire qui vint pointer le bout de son nez de s’afficher. J’étais heureux qu’elle accepte ainsi de me faire confiance alors qu’on ne se connaissait, au final, pas tant que ça. On avait discuté à la boutique, c’était certain, mais surtout de musique, de genre, de choses et d’autres si triviales. Rien qui, à priori, ne me donnait le droit d’agir comme je le faisais ici. Cependant je n’ai jamais été du genre conventionnel. Je respectais les limites de chacun, mais si jamais on me laissait entrer, je faisais tout mon possible pour aider, même si on ne pense pas toujours qu’on a besoin d’aide. Je n’hésitais pas une seconde dans mes décisions ou mes idées, y allant franco avec délicatesse cependant ; je ne voulais pas braquer les personnes que j’essayais d’aider voyons, ça serait parfaitement contre-productif. Je restai d’un silence religieux tant qu’elle se préparait à chanter. Hors de question que je prenne le risque d’interrompre un possible rituel de préparation. D’accord, elle m’avait dit ne pas être chanteuse mais ça n’empêchait. Je sentais la fragilité de ce que j’étais en train de construire avec elle ici et, si par malheur je venais à briser ce si précieux équilibre, je risquais de perdre tous les efforts que j’avais mis dans cette histoire.

Elle chanta, quelques minutes à peine, mais ce fut avec une telle sincérité et une telle énergie (progressive, hésitante au départ pour révéler son plein potentiel arrivant vers la fin. Je regrettai qu’elle s’arrête. Sans être la plus belle voix que j’ai pu entendre dans ma vie, elle avait effectivement une voix magnifique. Alliée à cette chanson qui semblait tant lui convenir à cet instant précis, elle manqua de me tirer une petite larme. J’ai toujours été très empathique aux gens qui m’entouraient, parce que je voulais me rapprocher de mes semblables, parce que je ne voyais pas et que je lisais les gens d’une toute autre façon. Je dus attendre une bonne minute avant que je ne puisse à nouveau parler, laissant ainsi le temps à Eleanor de le faire avant moins. La question me tira un sourire, un court sourire. Je tentai encore de faire la part de quels sentiments étaient les miens et lesquels appartenaient à Eleanor. J’avais toujours un peu de mal à dissocier les deux. Finalement, je pris une grande inspiration et lui répondit, quand elle eut relâché ma main.

"Tant mieux si ça t’aide, c’était le but recherché après tout. Quant à ta voix. Elle est magnifique. Si tu veux, ce qu’on peut faire, c’est de se donner rendez-vous chaque semaines, ou plus, ou moins souvent si tu le souhaites, chez moi et que tu chantes. Pas pour t’entrainer, juste pour te faire lâcher la pression. Rien que toi et moi, je te le promets. Tu en penses quoi ?"

Un peu déboussolée d'avoir laissé autant libre à court à ses sentiments, Eleanor ne remarqua pas le trouble de son ami. Il faut dire pour sa défense qu'elle n'était pas particulièrement fanna de ce qu'il venait de lui faire faire. Mettre ses sentiments à nu, exposer ses faiblesses ainsi... Elle n'était pas du genre à apprécier se donner en spectacle de la sorte. Elle aimait passer inaperçue et elle avait toujours eu du mal à parler de ce qu'elle ressentait ou à se confier à qui que ce soit. Aiden avait en quelque sorte réussit une sacrée prouesse en lui prouvant qu'elle pouvait relâcher le contrôle sur ses émotions -en lui montrant qu'elle ne s'effondrerait pas pour autant-. Le musicien avait de plus réussit un autre miracle en trouvant un moyen tout à fait adapté pour la blonde d'exorciser son malheur sans avoir à expliquer la moindre chose. Pour ça, elle lui serait toujours redevable. 

Pourtant elle eut un léger sourire crispé à la réponse du brun. Le compliment, sans doute, ne l'aida pas à se sentir à l'aise. On ne répétera jamais assez à quel point elle n'aimait pas en recevoir. La jeune femme était tout à fait consciente que c'était une chose sur laquelle elle devait travailler -la confiance en soi-. Puis la proposition la laissait sans voix. Mais une petite voix lui murmurait qu'au fond, chanter lui avait fait un bien fou. Et que la musique lui avait manqué bien plus qu'elle ne l'avait prévu. Alors, oui, elle savait bien qu'elle ne pourrait pas refuser l'offre. Après tout, c'était soit ça, soit la mauvaise humeur dont elle n'avait pas réussi à se débarrasser avant l'intervention d'Aiden. Le choix était plutôt aisé, n'est-ce pas ? Non, vraiment, ce qui la laissait sans voix c'était plutôt Aiden lui-même. Etrangement, il était à cet instant la personne qui semblait le mieux la comprendre. Et cela même si ça faisait des mois qu'ils ne s'étaient pas vu, cela même s'ils n'avaient jamais été particulièrement proches. Oh, la blonde avait toujours apprécié la compagnie du brun et n'avait jamais été contre une discussion avec lui mais... Ils n'étaient pas réellement proches. Elle était juste une cliente régulière, une ancienne habituée du magasin.  Toujours est il qu'il l'avait retrouvée, l'avait forcée à se défouler de manière peu conventionnelle et lui offrait de remettre ça dès qu'elle le souhaitait, tout en lui assurant l'absence de toute pression et de tout jugement. Qu'on lui rappelle de ne jamais perdre foi en l'humanité. Pas avec quelqu'un comme Aiden dans les parages. Le sourire de nouveau aux lèvres elle soupira un petit peu, pour la forme. « Je ne pense pas être la première personne à te dire ça mais tant pis. Tu es vraiment trop généreux pour être réel, Aiden Faryden. »

Et l'affirmation était sincère. Eleanor ne savait pas vraiment ce qu'elle avait fait pour compter un pareil homme parmi ses connaissances, mais elle était finalement ravi qu'il ai trouvé sa nouvelle adresse, peu importe qui lui avait donné. « Je serais ravie de remettre ça, du moment que ça ne te dérange pas. Mais... Je dois avouer que ça me gêne. Je veux dire... Tu m'aides beaucoup mais moi, qu'est-ce que je peux bien faire pour te rendre service ? »

Remis de mes émotions précédentes, je retrouvai les repères qui étaient les miens et porta une attention complète et exclusive en cet instant à Eleanor à côté de moi. Elle eut d'ailleurs un commentaire qui me fit rire. Oh oui on me l'avait souvent dit. Pas forcément dans ces termes exactes, mais définitivement en ce sens.

"Oui, on me le dit régulièrement. Emily la première. Elle serait aussi du genre à me dire que la bonté me perdra. Mais comme je le lui dis souvent: je ne pars nul part. Je suis bien réel et n'ait pas l'intention de quitter Storybrooke avant longtemps."

Car ma vie était ici. Mes amis, un semblant de famille pas franchement stable mais bel et bien là. Tant qu'à faire, autant être agréable en plus. Certains diront que je ne suis pas agréable, mais que je donne avec abandon. Jamais "sans compter" parce que ça serait sous-entendre de l'argent en jeu ou intrinsèquement lié à ce que je fais, alors que pas du tout, mais bien "avec abandon". Je ne faisais même plus attention à ce que je donnais de moi-même pour les gens que je décidais d'aider. A défaut je me laissais rarement aller à dénoncer mes propres problèmes. Seule Emily arrivait à me tirer les vers du nez, mais ça, c’est parce qu’elle passait la moitié de son temps libre avec moi – et qu’elle avait le don d’insister jusqu’à ce qu’on lui dise tout et n’importe quoi, surtout l’important – alors comment pouvait-elle rater quand j’allais mal ? Tout comme il m’était impossible de ne pas sentir quand mon amie allait mal aussi loin sous la bonne humeur et la vitalité pouvait-elle cacher ces soucis.

Mais revenons à Eleanor. C’était elle que j’étais venu voir à l’origine et j’avais bien fait visiblement. C’était bien la première fois que je m’essayais à être un genre de confessionnal par la musique. Souvent j’étais là, j’écoutais et ne disait rien par la suite, à qui que ce soit, mais je n’étais que rarement un acteur actif de cette remise en forme émotionnelle. Là, j’allais en être le chef d’orchestre personnel et exclusif. C’était à la fois un honneur et extrêmement intimidant. Beaucoup de pression pour ne pas décevoir dans les conseils que j’allais devoir donner, dans la justesse de ce que je devrais faire et dire pour l’aider et non pas la renvoyer plus bas que terre par inadvertance. Dieu qu’il était délicat de faire ce que je lui proposais…Mais j’allais m’y risquer tout de même car je ne voulais pas la laisser seule à travers tout cela. Je repris un cookie sur la table et eu un mouvement d’arrêt en entendant sa question.

J’entendais les mots. Je les comprenais, mais j’avais beaucoup de mal à en comprendre le sens. A saisir le pourquoi de cette question qui n’en n’était pas totalement une…J’avais énormément de mal à concevoir que les gens puise faire ce que je fais et demander quelque chose en retour. Aussi la possibilité que ce soit cela qu’Eleanor me demandait, mon prix en quelque sorte, ne m’effleura même pas l’esprit et je pris une bouchée de cookie et le mâcha tranquillement en essayant de comprendre ce qu’elle voulait dire au juste…

"Désolé, tu vas peut-être trouver ça idiot mais…Qu’est-ce que tu veux dire au juste ? Et si je te le propose, c’est que ça ne me dérange pas voyons, il serait bien idiot de proposer un truc pareil et de dire ensuite que ça nous dérange…Tu ne trouves pas ?"

Je lui offris ensuite un immense sourire qui m’était si typique dit-on. Je ne saurai en être juge.

Le rire qui échappa à Aiden suite à sa petite remarque réconforta légèrement Eleanor. Les choses reprenaient leur place habituelle et le seul véritable changement qu'elle pouvait remarquer ne venait nullement du musicien mais bien d'elle-même. Elle était plus détendue qu'elle ne l'avait jamais été ce mois-ci. Et, comme elle l'avait déjà dit, elle n'était pas du tout étonnée d'apprendre qu'elle n'était pas la seule à lui avoir fait remarquer qu'il était bien trop gentil pour son propre bien. La blonde ne connaissait pas Emily mais elle pouvait dire sans l'ombre d'un doute que la femme avait bien raison et elle espérait qu'elle serait longtemps là pour rappeler ce fait au jeune vendeur. « Fais moi donc plaisir : remercie cette Emily pour moi. »

Eleanor allait surement rajouter quelque chose à propos de oh combien les habitants de leur petite ville devaient s'estimer heureux que le jeune homme n'ait aucune intention de quitter leur communauté -sérieusement, cette belle bande de commères avait grand besoin de gens comme lui- mais une autre question la travaillait. Une question bien plus importante. Effectivement, elle n'était pas le genre de femmes qui appréciaient être aidées sans rien faire en retour. Et, à son humble avis, Aiden avait bien trop l'habitude d'aider les gens sans rien recevoir en retour. Et ce n'était tout simplement pas sain. Il ne pouvait pas continuer à donner comme ça, à tout le monde, à tout va sans que personne ne fasse jamais rien pour lui. Mais une fois encore, combien de personnes à Storybrooke prenait réellement le temps de laisser de côté leurs petits malheurs pour s'intéresser aux autres ? Tout le monde ici avait des blessures -comme partout ailleurs- mais seul quelques uns d'entre eux décidaient d'aider les autres. Comme Aiden. Oh, c'était une prise de conscience bien récente pour la blonde ! Peut être que les événements récents l'avaient-ils aidée à ouvrir les yeux ? En tout cas, c'était assez dur d'avouer qu'elle avait elle aussi fait partie de ces gens bien trop égoïstes et aveuglés par leur propre vie pour s'intéresser aux autres. Pas moyen qu'elle répète de nouveau ses erreurs. Nouveau célibat, nouvelle appart... Nouvelle vie. C'était ce qu'elle s'était promis.

La réaction du jeune homme confirma ce qu'elle pensait et la propriétaire des lieux se permit un petit soupir. C'était évident pourtant qu'il ne comprendrait pas. Comme elle l'avait supposée, Aiden n'était pas habitué à ce qu'on lui renvoi l'ascenseur. « Je veux juste dire que je me sentirais mal d'accepter ton aide sans rien faire en retour. Sans la mériter. Je ne veux pas juste être une bonne action à faire. A vrai dire, je pense que chacun d'entre nous devrait apporter quelque chose à l'autre. C'est la manière la plus saine de faire les choses, non ? Reste à voir ce que moi je pourrais bien t'apporter... » Et la question était bien plus délicate qu'il n'y paraissait. Que pouvait-elle donc faire qui aiderait le brun ?

"Tu pourras la remercier toi-même, elle vient souvent au magasin. Tu as même dû déjà la croiser, une violoniste, qui m’accompagne souvent au piano." Je fis une courte pause avant d’ajouter, le ton jovial et espérant, avec une légère touche de "j’ai-pas-l’air-comme-ça-mais-le-non-ne-sera-pas-admis" "Même si tu n’as plus de piano, tu pourras toujours passer à la boutique pour me tenir un peu compagnie quand tu le voudras."

Oui, j’avais cette petite touche de sournoiserie en moi que peu de gens suspectait. Mais jamais rien de bien méchant, plus comme Miss Marple. N’avez-vous jamais remarqué la façon qu’elle avait de dire certaine chose, avec une innocence apparente mais qui laissait comprendre qu’il y avait une petite touche taquine là-dessous ? Parce que c’était exactement la technique que j’utilisais. Je n’avais jamais vu le visage de la femme qui interprétait Miss Marple, mais j’avais parfaitement entendu sa voix et j’avais surtout parfaitement entendu ses intonations. J’avais dû me retenir d’éclater de rire en entendant ça. Personne ne semblait avoir remarqué pourtant…Tout ça pour dire que j’étais moi aussi capable de faire ce genre d’allusion sans en avoir l’air. Merci ce que plusieurs personnes ont appelé ma bouille d’ange. Je pouvais faire passer beaucoup de chose sans même que les gens s’en aperçoive. Bien heureusement, je ne faisais pas de politique, imaginez le massacre si ça avait été le cas…Passons.

Eleanor revenait à son explication de la question qu’elle m’avait posée un peu plus tôt et que je n’avais pas totalement saisie. Tout de suite, avec ses explications, ça me semblait bien plus clair, même si je ne savais absolument pas quoi lui répondre. Bien sûr qu’il était plus sain d’échanger les services que de simplement donner ou recevoir mais je n’avais pas exactement été habitué à le faire. Il me fallait très peu de choses pour être heureux. La plupart du temps, juste avoir l’occasion de croiser les gens que j’aimais était suffisant. Avec avoir de quoi manger à ma faim bien sûr. Alors lui donner une réponse comme ça…

"Oui, je vois ce que tu veux dire. C’est très honorable de ta part d’ailleurs. C’est vrai qu’en générale je fais des petites choses, je ne pense pas à me faire ‘payer’, tant ça me semble normal."

Car là était le souci, j’en avais tellement l’habitude que ça me semblait normal de faire tout ça. D’aider les gens. Ca ne me serait même pas venu à l’esprit de me faire payer pour cela. Que ce soit en échange d’un service ou en échange de quoi que ce soit d’autre. Mais Eleanor semblait si insistante que je ne pouvais pas le lui refuser. Je gardai le silence quelques minutes, essayant de trouver une idée, mais rien de concret ne me vint en tête alors je poussai un soupir et repris un cookie – il faudrait vraiment que je me clame ça faisait le troisième en moins d’une heure – et une idée me vint.

"Tu n’as qu’à me payer en cookie." Annonçai-je avec un ton amusé puis je me levai "Ecoutes, pour l’instant on peut rester sur les cookies. Je n’ai sincèrement pas l’occasion d’en manger d’aussi bons habituellement. Si jamais on vient à trouver mieux je te tiens au courant. Mais là il va falloir que je retourne au magasin…En tout cas, ce fut un plaisir de te revoir et de savoir que tu vas bien…"