« Archie Hopper ? Bien sûr que je le connais, tout le monde le connaît à Storybrooke ! C’est qu’il a beau être discret ce garçon, c’est un peu l’incontournable de la ville, si vous voyez c’que je veux dire. C’est qu’il fait partie des meubles, on ne le remarque pas vraiment quand il est là, mais quand il n’est plus là, c’est la panique complète. Archie, c’est le psychologue de Storybrooke, le seul d’ailleurs. Il a son cabinet de praticien en centre-ville, pratiquement en face de chez Granny’s ; il n’est pas rare d’ailleurs vers midi de le voir sortir de son cabinet avec son dernier client de la matinée et de l’accompagner pour déjeuner en face où il retrouve en général plus de la moitié de sa clientèle par la même occasion. Où qu’il sorte, il est presque toujours accompagné de son dalmatien Pongo, et qu’il neige, pleuve, vente ou fasse grand soleil, il ne sort jamais sans son parapluie. Comme quoi, même les psys peuvent avoir leurs petites bizarreries ! C’est un brave type Archie, toujours aimable, serviable, souriant, il répand la bonne humeur partout où il passe avec son optimisme contagieux et ce talent qu’il a pour remonter le moral des troupes. Il serait prêt à donner sa chemise pour son prochain, même à ceux qui le mériteraient pas si vous voulez mon avis. Il est peut-être un peu trop gentil pour son bien d’ailleurs, mais hé, il en faut des comme ça aussi, pas vrai ?

Psychologue, c’était le métier parfait pour lui. Je n’ai jamais vu personne écouter aussi bien qu’Archie : quand vous entrez dans son cabinet, il a cette façon de s’asseoir en face de vous et de se pencher vers vous, les coudes sur les genoux et les mains jointes, en vous regardant dans les yeux avec ce sourire en coin qui veut dire « vas-y fiston, balance tout, débarrasse-toi de toute cette crasse qui te pourrit le cœur, j’en fais mon affaire ». Bon il le dirait pas comme ça évidemment, Archie il sait mieux parler que moi, c’est un docteur ! Mais voilà, il est comme ça Archie, le genre de gars à qui vous pouvez tout raconter, sur les épaules duquel vous pouvez déverser le poids de tous vos malheurs, sans qu’il ne vacille d’un seul pouce. Enfin, sans qu’il n’en donne l’apparence en tout cas. Parfois il a un sourire compatissant, parfois il fronce les sourcils d’un air soucieux –presque tout le temps, d’ailleurs, c’est un grand soucieux notre Archie- mais il n’a jamais un mot de travers pour qui que ce soit, parce qu’il les choisit toujours avec une grande prudence. Il m’a dit un jour qu’un psychologue était censé savoir mieux que quiconque à quel point les mots pouvaient blesser, et qu’une fois, il avait failli à son devoir et profondément blessé un petit garçon qui plaçait en lui une immense confiance ; et depuis ce jour, il s’est juré de ne plus laisser quoi ou qui que ce soit le faire dériver de son devoir. Je ne sais pas exactement ce qu’il a voulu dire par là, mais Archie est quelqu’un d’assez secret mine de rien, donc je n’ai pas insisté…

C’est vrai ça quand on y pense, Archie sait tout e nous, mais nous, que savons-nous d’Archie ? Pas grand-chose au final : c’est qu’il est tellement habitué à nous écouter qu’il en oublie de parler de lui, le pauvre garçon. Il est discret, pas si bavard que ça, ayant l’habitude d’écouter les histoires des autres, et même s’il est très ouvert au dialogue et aux autres il garde une certaine réserve et, je crois, une bonne dose de timidité qui l’empêchent de se mettre en avant. Je ne l’ai jamais vu avec une fille d’ailleurs ; le pauvre garçon est bien trop réservé pour oser faire le premier pas, ou alors ce serait en rougissant comme ses cheveux et possiblement en butant sur les mots. Ah ça, il est fort pour donner des conseils, Archie, mais pour les appliquer, c’est une autre paire de manche… Il est encore jeune, mais parfois il me fait penser à un vieillard : il a sa routine, ses habitudes, et il est effrayé je crois par le changement et l’idée de sortir de son cadre de vie bien défini. Il est adorable, mais dès qu’il s’agit de prendre une décision qui peut bouleverser sa vie ou même son quotidien, ça lui prend un temps fou… Et bien souvent, il est trop tard quand il y est enfin arrivé…





« Mais Archie n’a pas toujours été Archie, vous savez ? Archie est né suite à la malédiction de Regina ; mais avant cela, notre brave Archie était bien différent… Puisque c’était un criquet !

Remontons ensemble le temps, voulez-vous ? Avant de s’appeler Archibald Hopper à Storybrooke, Archie a été un petit garçon, comme tout le monde. Un petit garçon du nom de Jiminy, vivant comme nous tous dans la forêt enchantée. Loin des études et des livres, Jiminy était le fils d’un couple de saltimbanques dont les seules richesses étaient leur petit théâtre de marionnettes ambulant et les trésors d’imagination qu’il refermait pour les enfants… Et les talents de chapardeur du petit Jiminy, rôdé au métier par un père et une mère aussi peu scrupuleux qu’ils étaient doués en mensonge. Qui irait se méfier de ces deux doux dingues et de leurs marionnettes, ou de leur fils aussi roux qu’une carotte et à la bouille innocente parsemée de taches de rousseur ? Personne, bien entendu, et leur petit manège dura ainsi pendant des années, et des années… Années pendant lesquelles le petit Jiminy sentit progressivement naître en lui un sourd sentiment de culpabilité, la conscience que ce qu’il faisait était mal, et qu’il était encore temps de s’arrêter pour commencer une vie meilleure. Hélas pour lui, chaque fois qu’il osait évoquer cette possibilité devant ses parents, ces deux comédiens chevronnés se mettaient à pousser de hauts cris, arguant qu’il n’y avait aucun mal à ce qu’ils faisaient, que ce qu’ils volaient, les volés le voleraient de la poche d’un autre et que c’était ainsi que « fonctionnait l’économie », que Jiminy était bien ingrat de vouloir les abandonner, car que feraient-ils sans leur fils chéri, et lui, que ferait-il sans eux ? Alors le petit Jiminy, désarçonné, désemparé, ravalait ses remords et faisait taire sa conscience, submergé par la cuisante culpabilité d’avoir eu ne serait-ce que l’idée de trahir ses parents. Ah, si seulement il pouvait être un criquet, se disait-il lorsque le soir tombait et que leur musique s’élevait sur les routes des campagnes qu’ils arpentaient sans relâche ! Un criquet, libre d’aller où le vent l’emporterait, sans avoir à voler les honnêtes gens pour plaire à ses parents… Et tout à ses rêveries, Jiminy se laissait emporter par le courant, continuant presque inconsciemment ce à quoi il avait été formé, ne sachant de toute façon pas quoi faire d’autre…
Les années s’écoulèrent lentement, paisiblement, rythmées par ses larcins de plus en plus nombreux et audacieux. A l’âge adulte, il n’avait toujours pas réussi à quitter ses parents, pris au piège dans l’engrenage infernal de l’amour qu’il leur portait, de la culpabilité qu’ils savaient si bien lui faire ressentir, et de la détestation dévorante qu’il avait de plus en plus envers eux aussi bien qu’envers lui-même. Amer, assombri, Jiminy adulte était perdu. Et ce fut un petit garçon qui le trouva, un soir de pluie dans une foire. Un petit garçon qui aimait les marionnettes et était « impatient de voir le spectacle demain » et lui avait laissé son parapluie afin qu’il ne prenne pas froid. Un petit garçon haut comme trois pommes qui en un bête geste lui avait prouvé qu’il y avait encore du bon dans ce fichu monde et l’avait laissé sans voix, comme un idiot sous une pluie battante, alors qu’il réalisait enfin ce qu’il avait à faire.

On l’appelait ‘the Dark One’, l’homme, ou plutôt le démon qui vint un jour à Jiminy et le convainquit qu’il pouvait l’aider à se séparer de ses parents. Il lui donna une potion aussi noire que les ténèbres et lui dit qu’en versant cette potion sur eux, il en serait à jamais libéré. Hésitant, sentant que quelque chose n’allait pas, Jiminy hésita longtemps à utiliser cette potion. Trop longtemps, certainement : il al conserva jusqu’au soir où ses parents orchestrèrent une odieuse machination pour entrer chez un couple naïf et généreux, leur faire croire qu’une épidémie de peste ravageait les environs et qu’ils étaient les seuls détenteurs d’un antidote… Après les avoir dépossédés de presque tout ce qu’ils avaient, leur laissant simplement une fiole remplie d’eau croupie, les parents de Jiminy s’en allaient en riant… Quand leur fils ne put supporter plus longtemps leur malhonnêteté et les aspergea de la potion de Rumpestilskin. Enfin, ce qu’il croyait être la potion… Réalisant avec horreur qu’il avait été dupé et que son père avait échangé les fioles, il se rua à l’intérieur de la petite maison et découvrit que l’innocent couple avait été changé en marionnettes. Dévasté par son crime, Jiminy le fut d’autant plus quand il vit arriver le petit garçon au parapluie, le fils de ceux qui n’étaient désormais plus que des pantins désarticulés, par sa faute, par son unique faute…
Brisé par la honte, la tristesse et le remords, Jiminy appela à son secours la Fée Bleue, qui lui apprit qu’elle ne pouvait défaire ce qu’il avait fait, mais qu’il pouvait se rattraper d’une autre façon. Comment, demanda-t-il ? En protégeant le petit garçon envers qui il avait désormais une dette à rembourser. Mais comment échapper à ses parents ? En changeant d’apparence bien sûr ! Que voulait-il devenir ? Il lui suffit de tendre l’oreille pour savoir : et le petit Jiminy devenu grand se transforma en criquet, avec pour mission de veiller sur le petit garçon toute sa vie durant. Son nom ? Gepetto…