"LUKAS ! NINA ! Où êtes-vous?!"

C’était souvent comme ça à l’époque, les deux enfants, faux jumeaux mais tout aussi fusionnels que de vrais jumeaux, qui jouaient à cache-cache avec leur mère dans la modeste maison au bord du lac qu'ils habitaient avec leurs parents. Ils vivaient en plein milieu des autres habitants du Pays des Contes de fée, se mêlant aux autres enfants des alentours et vivant comme tout un chacun; leur mère étant couturière, elle vendait des produits au marché ou bien prenait des commandes. Quant à leur père...Leur c'est un peu différent; il était un sorcier. Il restait chez lui pour s'occuper de ses enfants quand sa femme était au marché et faisait la cuisine, parce que sa femme avait parfois les doigts et les mains trop abîmée pour pouvoir faire grand-chose. Mais un sorcier, utilisant la magie pour vivre, courant dans leur veine et les rendant si différents des gens qui les entouraient, bien proprets dans leur petites maisons, inconscient, encore, de ce que cela pouvait signifier pour ses enfants.

Autant dire que leur enfance fut calme, très calme. Malgré la difficulté de vivre que la famille connaissait, ils furent comme dans un petit cocon, préservés du mordant et de la violence de la vie. Leur nouvelle aventure commença lorsqu'ils commencèrent à vraiment passer beaucoup de temps avec les autres enfants du village. Autant dire que Lukas était plutôt du genre à se faire discret, quelque peu timide…Pourtant, quand on arrivait à le mettre à l’aise (ce qui, en soit, n’était pas bien difficile) il se montrait comme étant un jeune amusant, pas pitre pour un sou, mais à l’humour vif et intelligent ; humour qu’il possède toujours, même s’il est à présent teinté d’un sarcasme certain. Alors que sa sœur, Nina, était une jeune femme vive, assurée et aventureuse, fonceuse comme pas deux et prête à tenter de toutes nouvelles aventures. Lukas la rejoignait sur ce point. Il est un peu un adrénaline junkie, ayant besoin de sa dose d'aventure pour être bien. À eux deux, ils inventaient les meilleurs histoires.

Cela fait encore partie de ses meilleurs souvenirs. Pourtant tout ne fut pas rose. S’il y a bien un évènement qui l’a marqué étant adolescent, c’est la mort d’un de leur camarade. Ce qui les frappa le plus cependant, ce n’était pas la mort en elle-même. Des morts par des maladies étranges, il y en avait régulièrement, pas besoin de pleurer des litres. Non, ce qui les toucha et leur fit réellement peur, c’est de voir le frère de ce camarade se retrouver seul. Il était de deux ans son cadet et la relation entre les deux frères n’avait rien à voir avec celle qu’il entretenait avec sa jumelle, mais le fait d’imaginer, pendant une seconde, que l’un d’eux pourrait mourir avant l’autre…Aucun d’entre eux ne put dormir cette nuit, restant lové l’un contre l’autre devant la cheminé de leur maison, comme pour se rassurer que l’un et l’autre était toujours là, pas du tout décidé à quitter l’autre de sitôt. Il n'a pas lâché la main de sa sœur de la nuit.

Depuis ce jour, Lukas est victime d’insomnies. Il dort tout au plus 4 heures par nuit quand il n’est pas dans une période d’insomnies totale. Ces dernières sont rares, mais elles arrivent elles durent facilement une bonne semaine. On ne sait pas exactement d’où lui viennent ces insomnies, mais il a très vite dû trouver à s’occuper durent les longues heures nocturnes. Il avait au départ prit le parti de lire tout en veillant sur la maison (à force de s'occuper de couper puis ramener le bois, les bêtes pour le dîner et les jarre d'eau, il a fini par se faire une bonne carrure) cependant ça ne durait pas bien longtemps. Il se tourna vers le jardinage. Assez atypique, mais ne pouvant sortir et refusant surtout de laisser sa sœur seule, il avait bien dû trouver quelque chose. C’était une activité comme une autre et elle lui prenait du temps ; au fil des années, elle est même devenue une véritable passion, mais une passion cachée, que peu lui connaissent ou même lui imagine.

Loin d’être fait pour un travail d’intérieur, il opta pour jardinier. Nombreux étaient les nobles à vouloir un magnifique jardin pour leur résidences. Lukas les imaginaient, les dessinaient et les mettaient en place avec deux associés. Ensembles ils avaient une affaire, pardonnez le jeu de mot, fleurissante. Lukas avait l’imagination et le talent pour imaginer des jardins représentant leurs propriétaires tout en respectant leurs souhaits. Ses associés étaient surtout là pour aider à la manutention et à la gestion de l’affaire (oui parce que c’est bien beau de savoir s’occuper des plantes et de gribouiller quelques pots de fleurs sur du papier, mais sans aucun sens des affaires, ils n’iraient pas loin). Sa sœur, Nina, avait quant à elle prit le chemin de la couture comme leur mère.

Sa vie ne pouvait pas aller beaucoup mieux, il avait même une fiancée à l’époque c’est pour dire…



Rien ne semblait pouvoir atteindre son bonheur à l’époque. Ca faisait plusieurs années que l’entreprise de paysagiste fonctionnait à plein régime, Lukas mettant à profit ses insomnies pour avancer le plus possible sur des projets de jardins. On leur avait même confié des parcs à réaménager ! Il envisageait le mariage et Nina inventait et créait des tenues avec une aisance déconcertante. Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Ou presque, les tracas quotidiens et les insultes que devait essuyer leur mère à cause des "dons" de son mari commençaient à avoir raison de son couple. Finalement, ils divorcèrent alors que Nina et Lukas avaient 30 ans. Ils n’étaient plus des gamins, mais ce couple qu’ils avaient vu toujours si soudé, si bien ensemble, qui se séparait ; ça leur faisait bizarre tout de même…

Mais ça n’était rien face à la mort de Nina, un peu plus de deux ans plus tard. Ça avait simplement commencé par les symptômes d’un méchant rhume, jusqu’à ce qu’elle s’écroule, suite à une quinte de toux, au travail. A peine appelé, Dante avait foncé à la maison, amenant sans attendre un medecin. Quand le diagnostic d’une mauvaise grippe est tombé, lui et sa mère se rassurèrent. Il en avait déjà eu une et bien que très désagréable, ça se soignait simplement. La preuve il était encore là. Etant doué avec les plantes, le jeune homme préparait une décoction pour sa sœur. Ça et quelques semaines à la surveiller et elle serait de retour au travail avant la fin du mois.

Alors la routine de prise de température et d’ingestion de décoction commença. Ils étaient optimistes, malgré l’état de fatigue extrême dans lequel se trouvait Nina, Lukas passait tous les jours pour parler à Nina, bien que cette dernière ne se contente que de sourires fatigués ou de ne pas répondre du tout. Pourtant, au bout de trois semaines, aucune amélioration, pas même d’un dixième de degré. La fièvre l’emmenait de plus en plus loin de lui et il le sentait. Sans en informer sa mère, il contacta son père, prêt à recourir à ses talents en magie pour qu'il fasse quelque chose n’importe quoi. Qu’il sauve sa sœur. Il passa toutes ses nuits à attendre dans la salle principale de la maison que son père lui donne une once d’espoir. Finalement, après une semaine à ne pas voir de résultats rassurant (son état avait empiré, elle n’était consciente que de très rares fois et jamais pour bien longtemps). Lukas alla la voir, tombant dans un des rares moments de conscience de sa sœur.

"Lukas…"
"Shhh, reposes-toi Nina, ça ira mieux dans quelques jours." Un rire piteux et très court échappa le corps fatigué de sa sœur, plus une expiration teintée de rire qu’un véritable rire
"Tu y crois encore ?"

Non, il n’y croyait plus. Il aurait voulu garder l’espoir, la soutenir en croyant à sa rémission prochaine. Mais entre jumeau, il y a des choses que l’on sent. Cette fois-ci, l’impossibilité de la rémission de Nina, était une de ces choses. Elle ne s’en sortirait pas, il le savait et ça le tuait. Pourquoi elle ? Pourquoi lui y avait-il survécu alors que Nina, cette femme si confiante et si engageante, ne pouvait pas y survivre.

Il fallut encore trois jours au père des jumeaux pour découvrir ce qui arrivait à Nina: la magie était la cause de ce qui lui arrivait. Pas un sort ou une malédiction. La magie qui avait voulu se développer en elle, mais que son corps a rejeté, pour une raison qui leur était inconnue. Un rejet de quelque chose qui n'est pas fait pour tout le monde, ça ne fait pas de cadeau malheureusement.

"Arrêtes-ça…"

Il lança un regard perplexe à sa sœur, ne comprenant pas, au départ, ce que sa sœur voulait dire. Qu’il arrête quoi ? De s’en faire ? De se lamenter sur son sort ? De croire à quelque chose d’impossible ? Puis il capta une lueur, une flamme presque éteinte dans les yeux de Nina…Oh…OH ! Il prit vite sa main et la serra fort, si fort qu’il devait lui faire mal. Elle profita des dernières secondes de conscience pour caresser la main de son frère d’un pouce fatigué, puis referma les yeux. Lukas savait ce qu’il devait faire : mettre un terme à ses souffrances, comme elle venait de le lui demander. Il ferait sa vite, sans douleur, sans un regard en arrière. S’il y avait bien quelqu’un qui pouvait prendre cette responsabilité, c’était lui. Il sortit, allant chercher de la belladone dans ses affaires et allait en faire ingérer à Nina. Seulement on l’en empêcha ; ses parents qui entraient se saisirent de lui, le premier réflexes pour l’empêcher de faire quelque chose d’irréparable alors que tout espoir d’était pas perdu. Il se débattit, hurlant à plein poumons qu’il devait le faire, qu’elle le lui avait demandé. Pourquoi ne pouvait-il pas comprendre quelque chose d’aussi simple ?

Il sonna bien deux hommes sur les trois présents (deux autres étaient arrivés en renfort) quand son père finit par l'endormir à l'aide de la magie, le rendant aussi inoffensif qu’un agneau. Quand il se réveilla, il eut un peu de mal à se rappeler de tout, mais quand la plupart des détails lui revinrent, la chose qu'il retenu fut que son père était quelque part responsable de la mort de Nina. Pas parce qu'il n'avait pas pu la sauver, il savait que des fois même la magie ne pouvait rien faire, mais parce qu'il était sorcier. C'est lui qui avait mis cette magie en Nina, qui avait introduit ce poison dans ses veines. Qui l'avait empêché de respecter le souhait de sa sœur...Ça avait beau être son père, celui qui l'a élevé, celui qui les avait rassuré quand ils avaient peur, Lukas ne pouvait pas lui pardonner la perte de sa sœur. C'était tout bonnement impossible.

La suite se passa très vite, comme s'il était dans une transe, avec pour fin une similaire à celle qu'il a connue quand il a tenté de mettre fin aux souffrances de Nina. Sauf que cette fois, quand il se réveilla, il était dans une cellule. Arrêté pour tentative de meurtre. Il s’en fichait bien. Sa sœur se mourrait et lui n’avait rien pu faire pour abréger ses souffrances. Se murant dans un mutisme total, les gardes étaient prêts à l’envoyer en cachot à vie, voire à l’exécuter. On préféra le garder en vie. Peut-être qu'ils considéraient qu'une vie à vivre avec le remord d'avoir tenter de tuer son propre père était une meilleure punition que la mort. Sauf qu'ils se trompait sur un point: ce n'était pas le remord envers la tentative raté contre son père, c'était envers celle pour Nina. Là où il avait failli à répondre à l'un des derniers souhaits de sa sœur mourante...

Commença alors cinq ans d’enfer, à entendre tous les soirs les cris, hurlement et gémissements de douleurs et de terreurs que poussaient les autres habitants des cachots. Personne ne ressort le même de prison. Lukas n’est pas une exception. Adieu le garçon un peu timide qu’il avait souvent été. Adieu l’être tendre et sensible, remis au loin dans son esprit. Il a laissé place à un être dur, tout à fait capable de faire souffrir pour arriver à ses fins si besoin est, d'une violence que personne n’a décelée; ils ne le pouvaient, elle s’est ancrée en lui à cause de ce qu’il se passait en prison. Un être sombre aussi, bien loin des standards qu’on attribuait aux jumeaux Raith. Le sarcasme l’habitait à présent, tout comme une part d’ombre qui ne demandait que la bonne occasion pour sortir et faire des ravages. Il faut se faire respecter là-bas ; Lukas y arrivait très bien, ses tendances à être lunatique et son imprévisibilité faisait que beaucoup redoutait de croiser sa route. Tous avaient peur qu’il les prenne par surprise, à un moment où leur garde serait baissée…Car ils dormaient, eux, contrairement à lui la plupart du temps.

Cinq ans plus tard, il sortait de prison, relâché sur un ordre venant de haut. Il se demanda bien qui dans les hautes sphères trouvait son cas suffisamment intéressant pour le relâcher. Il passa les trois premiers mois à reprendre en cours ce qu’il s’était passé durant son absence. Sa sœur était morte peu après son incarcération. Il s’en doutait. Les jumeaux sentent ce genre de choses. Sa mère…Sa mère avait pris un peu trop goût à la boisson. Son entreprise tournait bien, mais il ne voulait plus avoir à faire avec eux. Le contexte politique étaient toujours plus ou moins le même. Sa fiancée avait retrouvé quelqu’un d’autre et attendait un bébé, enceinte de six mois. Bien que de nature jalouse, il ne l’était pas dans ce cas. Eut-il été à sa place il aurait probablement fait en sorte de continuer sa vie plutôt que d’attendre quelqu’un à priori voué à passer le reste de sa vie en prison.