Ruby votait pour la cuisine immonde. Il prit une expression désolée, principalement pour l’estomac de la serveuse et ce qu’il allait devoir subir pour les heures à venir. Bon, en réalité, Sven n’était pas un mauvais cuisinier. Ce qu’il faisait était parfaitement comestible. Mais cela manquait de goût, cruellement. Ce n’était pas pour rien s’il était un abonné chez Granny. Il préférait nettement posé sur cul sur une chaise et attendre que la nourriture arrive toute préparée que de passer par l’étape interminable de la cuisine. Heureusement qu’Andrew avait eu pitié de lui, au début de leur amitié et qui lui avait donné quelques cours de cuisine, plus dépitée par l’incapacité de l’ébéniste à se servir correctement d’éléments basiques dans une cuisine. « Allons remplir ce ventre dans ce cas. »

Sven récupéra ses affaires qui trainaient sur le banc et rentra à l’intérieur, invitant sa petite protégée à le suivre. Il se rendit directement dans la cuisine et fourrant ses affaires de sculptage à l’écart, commença à chercher une casserole assez grande pour accueillir des pâtes. Ce soir, ce serait spaghettis. Bah oui, il fallait pas s’attendre à ce que monsieur préparer un tournedos de cabillaud sur son lit de légumes de saison. Il réservait les noms pompeux et la préparation compliquée. En attendant que l’eau chauffe, il se retourna, croisant les bras. « Et donc, tu Jules, est-ce que j’ai le droit d’en apprendre un peu plus ou tout ce que tu sais sur lui restera dans le silence ? » Dire que Sven n’était pas curieux aurait été un mensonge. On parlait tout de même de Ruby, la gamine qu’il avait retrouvé sur le bord de la route un jour. Ca forgeait des liens ce genre de choses. Il se sentait obligé d’être protecteur envers elle, c’était plus fort que lui.

Sven se dirigea vers le frigo et en sortit deux bières fraiche, qu’il déposa pour la serveuse et pour lui-même. Il s’empara aussi d’une sauce tomate, préparée par les bons soins de Sam, tout en vérifiant qu’il n’y avait pas de poils verts étranges qui poussaient dessus. Quand il s’assura que le Tupperware était sauf de toute infection bactérienne, il referma le frigo, posant le tout sur le plan de travail plus ou moins dégagé – c’était un miracle qu’il n’y ait pas de copeaux de bois partout. « C’est lui qui t’as parlé des lémuriens je parie ? » Sven avait un mince sourire sur les lèvres, ne jugeant pas l’élu du cœur de Ruby, mais émettant une hypothèse plutôt intéressant. D’où aurait-elle pu entendre parler de pareils animaux autrement ?

Sven offrit un mince sourire à Ruby qui tentait de le rassurer sur ses talents culinaires, qui n’étaient pas si perdus que ça. Il rit même un peu, en imaginant la mésaventure de cette personne qui avait oublié l’élément aqueux pour la cuisson des pâtes. « T’inquiète, j’ai aussi eu des moments peu glorieux face à une poêle. » Il n’avait pas la patience pour ce genre de choses, sinon, c’est vrai qu’il aurait pris le temps d’en apprendre plus sur la cuisine, d’acheter un livre, de suivre des cours. Mais bon, le restaurant de chez Granny avait besoin de clients. Et il n’arriverait à faire des plats aussi bons que ceux qu’il commandait là où Ruby servait. Non, franchement, l’art culinaire ne faisait pas partie de ses domaines de prédilection.

L’eau commença à frémir, et au fil de leur discussion bouillait. Il plaça les spaghettis dans la casserole, vérifiant l’heure avec un coup d’œil sur l’horloge accrochée au mur. Tout en mettant la sauce tomate dans une autre casserole pour la faire réchauffer, il écouta l’explication derrière les fameux lémuriens. Le bouche à oreille. Et ce n’était pas le doux et tendre de Ruby qui était derrière tout ça. Sven fut un peu étonné et ne le cacha pas. « Les rêves d’aventures. Mais qui me servira mon café au matin ? » C’était une blague. Il ne retiendrait pas Ruby. Si elle voulait partir, il lui laisserait la voie ouverte. Il ne pouvait pas la blâmer pour avoir envie de voir du pays. Si lui était bien dans sa ville natale, Sven ne pouvait pas en vouloir à ceux qui cherchaient un exotisme qui se trouvait difficilement dans la petite ville du Maine.

L’ébéniste souleva le couvercle des pâtes, l’eau commençant à déborder. Il tourna dans la sauce qui commençait à se réchauffer. Il jeta un coup d’œil vers Ruby, repensant à l’autorisation qu’il avait, de poser n’importe quelle question sur le Jules de la serveuse. « Qu’est-ce qu’il fait comme métier ? Oh non. Attends. Comment vous vous êtes rencontré ? » Les deux questions étaient tentantes, et finalement, elles étaient sorties toutes les deux. Mais bon, il préférait savoir la manière de leur rencontre, savoir qui avait ravi l’attention et le cœur de sa petite Ruby. Si il ne pouvait pas la retenir d’aller où elle voulait – elle avait déjà assez de Granny pour ça – il prenait tout de même le soin d’apprendre si Ruby était entre de bonnes mains, ou non.