Rachelle contempla la solitude, assisse sur le point culminant des escaliers de Finn. Elle avait un semblant de vue sur l’étage du dessous, sur les quelques photos, sur le parquet de l’appartement, le même qui était chez elle, un parquet qui flamberait surement à merveille, si une allumette égarée se retrouvait contre lui. Elle se mordilla la lèvre, tentant de chasser les pensées, s’occupant à étudier les bruits qui éclataient dans tous les coins de son cerveau, douce gerbe de sons discontinus, désagréables, se mêlant à un mal de crâne familier. D’un doigt, distraitement, elle jouait avec l’attache en métal de sa cannette presque vide, remplissant le silence de l’appartement de Finn par une musique anarchique, suivant le rythme d’un de ces échos, à l’arrière de son crâne. « J'arriiiive. » Le cri presque aigu de son voisin eut le don de la sortir de ce monde de réflexion, lui arrachant d’un même coup un sourire, mince, amusé, à la réponse qu’elle obtenait de la part du photographe, semblable au cri qu’elle avait poussé. Il ne tarda pas à apparaitre, sortant de la pièce dans laquelle il avait trouvé refuge ces dernières minutes. L’expression neutre, un peu perdue aussi, la brune se redressa en un seul mouvement, retournant dans la cuisine. Elle posa sa boisson vide sur le coin du plan de travail. « Ça sent super bon en tout cas. » Rachelle huma l’air, comme si c’était la première fois. Elle aussi, remarqua l’odeur, alors qu’elle avait eu le nez plongé dedans depuis le début. Son esprit n’avait pas été assez présent sur ce détail, encore égaré sur la crainte de faire une connerie, parce qu’elle savait qu’elle finirait par en faire une, et celle, également, de décevoir Finn. Pas que son avis soit d’une importance vitale. Mais il lui avait confié sa cuisine. Elle s’en serait voulu de foirer quelque chose. Heureusement, ça n’était pas encore arriver, peut-être que ça n’arriverait pas. Saqarh passa une main dans ses cheveux, détendue – ou presque – à nouveau. Elle osa même un mince sourire. « Eh ouais, faut croire que je fais pas bruler tout ce que je touche. » C’était presque un miracle et un bruit dans sa tête se languit de voir apparaitre des flammes, qui ne vinrent pas.

Rachelle remplit les deux assiettes posées à côté des plaques de cuisson, y déposant dans chacune d’elles un morceau de viande cuit à point, et quelques pommes-de-terres encore entières, recouvertes d’huile d’olive et de fines herbes. A l’allure d’un chef, mais pas trop, elle déposa les assiettes là où Finn avait dressé la table. « Tu veux continuer le soda pour la suite ou pas ? » Elle leva la tête vers son nouveau voisin. Elle fit mine de réfléchir un peu. En réalité, elle cherchait à ne plus entendre ce qu’il se déroulait dans sa tête, se tapota la tempe, comme à son habitude. Le silence feinta à se faire et elle se posa sur le siège qui lui était dédié. « Je reste au sucre. Le sucre, c’est le bien. » Eh oui, Rachelle avait le don de choisir toujours ce qu’il y avait de plus sucré. Des bonbons, des pâtisseries, des fruits. Alors, quand on lui proposait de choisir entre n’importe quelle boisson et une limonade, elle prenait la limonade, sans aucune hésitation. Ses médicaments l’assommaient partiellement, même si cela ne se voyait plus trop avec les années. Elle ne pouvait pas prendre des vitamines, ni des boissons énergisantes – parce que, si c’était le cas, elle devenait franchement insupportable-. Le peu d’énergie qui lui apportait les sucres, sans faire d’effets trop longtemps, était juste ce qu’il lui fallait. Puis elle aimait ça, simplement. Ce que devait laisser percevoir le ton qu’elle avait pris.

De son couteau, Rachelle coupa un morceau de viande, dans lequel elle planta sa fourchette. Elle esquissa un dernier regard vers Finn, presque inquiète de ce qu’il avalerait. Elle, elle avait eu suffisamment de temps à s’habituer à sa cuisine. Elle avait développé une sorte d’immunité à ce qu’elle pouvait préparer. Elle avait la peur, stupide et infondée, que son nouveau voisin, son voisin si charmant qu’elle appréciait déjà, ne tombe raide mort. Elle ne connaissait pas un bon endroit pour cacher un corps… Elle cligna plusieurs fois des yeux, se rendant compte de l’impossible de ce que son esprit torturé. « Si jamais tu t’écroules, tu promets de pas dire que c’est moi qui aie cuisiné ? » Elle eut un mince sourire, presque timide. Et elle se mit à manger. Parce que, finalement, c’était mangeable.