Tel un enfant boudeur, Andrew soupira. Pourquoi ne voulait-on pas le laisser tranquille ? Il lança un regard vers son téléphone portable qui affichait plusieurs alertes, comme quoi il avait reçu des messages vocaux ou écrits. Seulement voilà, le jeune homme ne voulait plus rien écouter et surtout plus rien lire. C'est un simple petit texto qui l'avait emmené en enfer. Aussi ridicule que ce soit, Andrew ne tenait vraiment pas à consulter ses messages. Il balança donc le petit outil de communication sur son sac bandoulière qui était affalé par terre et repassa ses mains sur son visage, comme pour chasser la fatigue qui s'accumulait. « Bien alors reste, fais-toi plaisir. » Désagréable ? Sûrement à cause de tout ce qu'il ressentait. Il n'en voulait pas à Sven de toute façon. Il s'en voulait encore à lui-même. Ce nouveau sentiment ne pourrait pas partir en un claquement de doigt. Vera avait passé plusieurs minutes à lui rejeter la faute dessus et, malgré les paroles rassurantes de Jamie qui avait essayé de lui faire comprendre qu'il n'y était pour rien, Andrew se sentait coupable. Peut-être que cet évènement changerait sa façon de penser. Au moins, il réfléchirait à deux fois avant de se lancer dans une aventure comportant plus de risque que s'il se serait jeté d'un pont sans corde à sa cheville.

Les yeux de Sven s'étaient posés sur la joue du jeune homme et rapidement, il lui demanda comment celle-ci se portait. Andrew haussa des épaules et pris une bonne bouffée sur sa cigarette. « Ça tire. » Il n'avait rien, strictement rien. Pas physiquement en tout cas. L'intérieur était beaucoup plus amoché. « Désolé que tu aies été mêlé à toute cette histoire. » Il était sincère et ne voulait pas que Sven reste sur une déception face aux mensonges du cuisinier. « Tu as emmené quoi au juste ? » Andrew désigna la tarte que son grand frère avait emmené avec lui en arrivant. Il était décidé à penser à autre chose, à parler d'autre chose. Pourquoi remuer le couteau dans la plaie ? Si Sven avait encore des questions, il pourrait toujours les poser, mais le cuisinier n'était pas prêt à remettre le sujet sur le tapis. Sa cigarette était déjà presque finie et il ressentait déjà le besoin d'en prendre une autre, même s'il n'allait pas le faire. Il ne voulait pas inquiéter Sven et fumer trois cigarettes en moins d'un quart d'heure ne devait pas être une bonne idée.

Andrew préférait aussi que la personne qui soit intervenu sur les lieux ait été Sven plutôt qu'une autre - Emma encore, à la rigueur. D'ailleurs, le jeune homme ne se souvenait même plus pourquoi l'ébéniste s'était trouvé sur les lieux à ce moment-là. Il ne lui demanda pas pour autant, préférant changer de sujet. Le cuisinier gourmand qui sommeillait en lui poussa Andrew à demander ce que son grand frère avait apporté avec lui en arrivant. Une tarte à la crème, la fameuse pâtisserie que Granny réussissait merveilleusement bien. L'estomac du jeune homme se fit un peu entendre. Il ne pouvait pas laisser le traumatisme l'empêcher de vivre. Même si ce qui était arrivé à Jamie - ou à lui d'ailleurs - allait le hanter, il ne pouvait pas se permettre de ressembler à un zombie. Non, il devait enfiler sa carapace et faire comme si de rien était. Il devait tout refouler au fond de lui, même si ce n'était pas la meilleure des solutions. Sven le fit tout de même rire en parlant de Granny qui était capable de lui botter les fesses. Et Andrew savait que la vieille dame était loin de plaisanter. Il avait déjà vu Granny en colère, autant éviter qu'il en soit la cause.

L'ébéniste s'empressa de servir la tarte et amena même une fourchette pour que Andrew n'ait pas à se lever. Celui-ci le remercia d'un léger sourire alors qu'il commençait à entamer la pâtisserie. Lui qui n'avait pas eu faim au début de la visite de Sven fut soudainement affamé. Le fait de s'être confié à son grand frère y était peut-être pour beaucoup. Andrew se sentait à moitié libéré, même si une grande part de lui allait tôt ou tard finir par exploser sous le poids des évènements. « Cette tarte a sûrement des propriétés magiques. Je ne pourrais sûrement jamais m'en passer. »

Le moment était si calme. Andrew mangeait, Sven veillait sur lui. Cette scène aurait pu être comique aux yeux des deux amis si elle se serait passée dans d'autres conditions. L'ébéniste avait presque l'air d'une nourrice, venu pour s'assurer que l'enfant soit bien nourrit et qu'il dorme bien. D'ailleurs, il commençait à rassurer Andrew sur le fait qu'il serait toujours là si besoin. Il voulait cependant être sûr que son ami le sache, qu'il en ait conscience. « Je le sais et je t'en suis très reconnaissant. » Mais le cuisinier ne voulait pas commencer à repartir sur le sujet de l'accident. . « Tu ne m'as pas dit comment ça allait pour toi ? Je t'ai un peu laissé de coté ces derniers temps avec... mes bêtises. » Andrew ignorait tout ce qui avait pu se passer dans la vie de l'ébéniste et voulait se tenir au courant.

Le fait que Sven ne lui en veuille pas de l'avoir légèrement mis de coté rassura Andrew. Ils s'étaient vus avant et pendant la soirée du Speed Dating, mais après cet évènement... plus rien. De temps en temps, en coup de vent chez Granny et encore. Andrew s'en voulait réellement mais puisque son grand-frère ne lui en tenait pas rigueur, il préféra ne plus se torturer avec cette histoire. Cependant, les nouvelles de Sven n'étaient pas très bonnes. Harley avait eu un accident. Andrew baissa un peu la tête, se sentant à nouveau un peu mal à l'aise. Non pas parce qu'il avait quelques difficultés à apprécier Harley mais parce qu'il aurait voulu être là pour son grand frère quand il en avait eu besoin. « Oui, j'en ai entendu parler. J'espère que ça ira. » Autant pour lui que pour la jeune fille. Même si elle avait eu dans l'idée de mettre son grain de sel lors du Speed Dating, Andrew pensait sincèrement ce qu'il venait de dire à Sven. Après tout, il n'était pas le genre à souhaiter le malheur des gens juste parce qu'ils n'étaient pas en raccord avec lui ou parce qu'ils décidaient de s'occuper de ce qui ne les regardaient pas.

Les discussions sombres étaient peut-être à mettre de coté. Andrew avait besoin de repos, tout comme Sven, sûrement. Il parlait d'ailleurs de piquer du nez et le cuisinier n'était pas sûr de pouvoir l'empêcher de s'endormir, se sentant lui-même un peu trop épuisé par les évènements récents. Sven demanda une berceuse, ce à quoi Andrew se mit à rire. « On verra pour la berceuse. Tout ce que j'espère, c'est qu'on ne s'endorment pas dans les bras l'un de l'autre. Ce serait louche et peut-être pas très agréable. » Non pas que l'ébéniste était repoussant, mais le jeune homme le considérait vraiment comme un membre de sa famille, alors non, ce ne serait pas agréable. Et malgré la petite blague, Andrew repensa inévitablement à Jamie. Il avait dormi contre lui après une soirée qu'ils avaient passé ensemble, en toute innocence et pourtant, ce moment avait été parfait. Le cuisinier laissa un profond soupir s'échapper de ses poumons et ferma les yeux. « Tu comptes rester chez moi jusqu'à quand au juste ? » Sans ouvrir ses paupières, Andrew attendait la réponse de Sven.

Andrew ne savait pas grand chose de la relation entre Sven et Harley, tout comme i ne savait pas vraiment quels sentiments animaient son grand frère à l'égard de la jeune fille. Il ne posa cependant pas plus de questions, préférant ce contenter de la dernière réponse de Sven au sujet de l'accident. Ce n'était pas un sujet que le cuisinier voulait aborder de toute façon. L’hôpital, les êtres proches blessés... s'en était assez pour aujourd'hui et pour l'heure. Andrew sentait la fatigue lui tourner la tête et il ne voulait pas encore pleurer, ce qui rendrait son état encore pire qu'il ne l'était actuellement. En fermant les yeux, il revoyait pourtant le visage de Vera ou celui de Jamie, allongé par terre, l'épaule en sang. Des images qui allaient sûrement rester gravées dans sa tête pendant un long, très long moment.

L'ambiance changea, laissant place à l'humour que Andrew connaissait si bien de la part de son aîné. Il se laissa rire, sans regret, en ayant l'image de Sven sous forme de couverture chauffante. « Je n'en doute pas une seconde, mais je laisse le loisir aux femmes d'en profiter. Je passe mon tour. » Le jeune homme se sentait de plus en plus tirer par la fatigue et n'osa même pas ouvrir un œil pour voir la réaction de Sven à ses paroles. En revanche, sa voix fonctionnait encore très bien et il ne tarda pas à demander à son ami s'il comptait rester ici encore longtemps, ce à quoi ce dernier répondit qu'il ne bougerait pas tant qu'il n'était pas foutu à la porte. « Alors reste. J'm'endors. » Andrew poussa un soupir plaintif et ne bougea pas d'un pouce. Il commençait véritablement à s'endormir et tous les bruits extérieurs semblèrent soudainement loin.