Age attendait devant la porte d’un restaurant qu’il ne connaissait pas. A l’exception du Granny, il n’était pas familier des autres lieux de restaurations. Il n’osait pas faire une infidélité au dinner de la grand-mère. Pour lui, c’était l’endroit idéal. Et quand il s’était pointé chez Sora, avec un grand sourire, en lui proposant d’aller manger un morceau, l’un de ces soirs – chez Granny, bien évidemment – celle-ci lui avait proposé d’aller ailleurs. Tout d’abord, il n’avait pas compris, ce que cet ailleurs était, jusqu’à ce que Sora explique son point de vue. Un vrai restaurant. Avec un serveur qui ne portait pas de mini-jupe et qui proposait plusieurs types de plats. Autant dire que c’était une première pour le félin, qui se contentait parfaitement d’une poubelle bien remplie ou d’une boite de thon. Il ne connaissait rien à l’art culinaire de ce monde. Ainsi, dès qu’ils s’étaient mis d’accord sur une heure et un endroit, Age était parti à toute vitesse jusque chez Casey, pour le cuisiner sur les restaurants. Puis, une fois que sa curiosité avait été comblée, il avait déboulé dans son propre appartement (wesh) pour faire subir le même sort à la fée des dents, qui était beaucoup plus familière avec le monde des hommes que lui. Malheureusement, grand mal lui pris, quand il se rendit compte de l’entrain de Toothiana.

Le jour même, il avait été forcé d’abandonner son vieux manteau favori, ainsi que ses guenilles habituelles – il avait échappé à la douche – pour revêtir un jeans un peu plus frais, ainsi qu’un manteau qui se voulait de saison. Mais le trouvant moche, il l’avait abandonné sur le pas de la porte et était sorti avec presque rien sur le dos. C’est avec un pauvre t-shirt manches longues noir – sa couleur préférée – il s’était rabattu sur une échappe où il s’était enroulé plus que de nécessaire. Le restaurant n’avait pas été difficile à trouver. C’était un français ( on remerciera le manque d’imagination de la joueuse, qui doit vraiment avoir envie de manger un français dans un futur proche ), soit un univers que le félin ne connaissait pas, non plus. Devrait-il faire attention à ce qu’il mangeait ? Casey lui avait dit qu’ils aimaient manger de tout. Il avait eu peur, avant d’être rassuré : des escargots, des pigeons, du homard. Et s’il ne savait pas ce qu’était un homard, il avait déjà mangé les deux premiers animaux… crus. Il supposait que ça ne devait pas être mauvais une fois cuit et préparé.

Age regarda son reflet dans la vitre, faisant mine de remettre quelques mèches de sa tignasse en place, avant d’abandonner. Il fit quelques pas sur lui-même, avant de voir Sora arriver. Le chat se para d’un grand sourire et combla la distance qui les séparait. « Salut ! Euh. Je savais pas si je devais déjà rentrer. Donc j’ai attendu. » Il était très fier de sa prise de décision. Et il n’osait pas vraiment rentrer dans cet univers qu’il ne connaissait pas, de peur de faire un geste maladroit. Quand il était en rue, il se moquait d’attirer l’attention sur lui. Mais dans les lieux clos…

Un bon restaurant français, voilà ce qui manquait à Sora pour bien se détendre. Ça faisait trop longtemps qu'elle se réfugiait dans son quotidien de coiffeuse avec quelques rares interventions en compagnie de Rachelle pour mener l'enquête : il fallait qu'elle prenne un peu de temps pour elle, sans penser sans cesse à tout ce qui clochait à Storybrooke. L'idée ne lui était pas venue spontanément. Il avait fallu que Age lui propose un dîner au Granny's pour qu'elle y réfléchisse. Bien sur, elle adorait le petit restaurant. Tout le monde y connaissait tout le monde, les ragots y circulaient plus vite que nul part ailleurs, et la nourriture -si pas exceptionnelle- y était bon marché. Mais elle avait eu envie de quelque chose d'un peu plus sophistiqué. Puis elle ne crachait pas non plus sur le plaisir de faire découvrir au félin une cuisine un peu plus recherchée que l'habituel hamburger. Ce soir, pas de spécialités américaines au menu : ils iraient manger français. Rien qu'à y penser, Sora en salivait d'avance. Ça la changerait agréablement des pizzas, pâtes instantanées et autres surgelés qu'elle enchaînait ces temps-ci. Oui, elle était d'une flemmardise monstre depuis quelques semaines. La seule chose qu'elle faisait l'effort de cuisiner occasionnellement, c'était des desserts.

Toute contente de la perspective d'un bon repas, Sora retourna sa garde robe. Ça faisait longtemps qu'elle n'avait pas eu à jouer les coquettes et elle ne voulait pas détonner dans le décors ce soir. Hors de question pour elle d'y aller avec le jean et le T-shirt qu'elle portait habituellement hors de son salon de coiffure. Après quelques hésitations, elle opta finalement pour une robe bleu foncée et une veste de tailleur blanche, comme ses escarpins. Avec ça, elle était sure de passer partout. Une retouche maquillage et un chignon plus tard et elle sortait de l'appartement en vitesse, se rendant compte qu'elle n'était pas vraiment en avance. Yuuto aurait poussé plus d'un soupir devant le temps qu'il lui fallait pour se préparer. Agacée par le tour que prenait ses pensées, elle secoua fermement la tête. L'ancien petit ami de la coiffeuse était une création inventée de toute pièce. Il n'avait jamais existé, il ne servait donc à rien d'y repenser. Et pourtant, comme il était dur de se dire que tous ses souvenirs n'étaient qu'illusions...

La jeune asiatique pressa le pas, repérant la silhouette du grand dadais brun qui l'attendait devant le restaurant. Apparemment il avait décidé d'adopter un tenue un peu plus présentable qu'à son habitude et elle s'en estimait chanceuse. « Salut ! Euh. Je savais pas si je devais déjà rentrer. Donc j’ai attendu. » Un sourire amusé dansa sur ses lèvres. Oui, elle allait introduire Age à un tout nouveau monde aujourd'hui. Elle ne savait pas exactement quelle serait la réaction du matou, mais c'était justement ça qui rendait l'expérience aussi tentante. « Tu as bien fait. » Elle glissa une main sous son coude pour l'entraîner en avant, vers l'entrée de l'établissement. « Allons y. » A peine la porte poussée qu'un serveur en chemise blanche venait pour les placer à une table de l'autre côté de la salle. Sora nota avec plaisir les nappes blanches et les serviettes bordeaux pliées en d'élégants origamis. Vraiment, ça n'avait rien à voir avec le Granny's. Elle déposa sa veste sur son dossier et s'assit, les menus arrivant presque immédiatement. « Alors, il y a quelque chose qui te tente ? » Que c'était étrange de dîner comme si rien d'étrange n'avait lieu dans la petite ville. Sans parler de dîner avec un chat !

Age observa, sans grande discrétion, la tenue de Sora, qui elle aussi, avait fait des efforts. Comme quoi, la règle de bien s’habiller pour sortir en société était elle-aussi mise en application par le lapin. Le chat se retrouva soulagé d’avoir été forcé d’améliorer quelque peu sa garde-robe. Il ne savait pas si il devait la complimenté sur sa tenue ? Sa sorcière lui avait dit que les femmes aimaient les compliments. Sauf que ne réagissait pas comme le cliché féminin. Le débat intérieur coupa court quand elle l’attrapa par le bras. Age sursauta légèrement, savant parfaitement que la coiffeuse n’appréciait pas les contacts rapprochés, surtout avec lui – pour une raison qui lui échappait. Elle semblait être de bonne humeur. Peut-être que ça ne serait pas si pire que ça, cette soirée. Alors, prenant son courage à deux mains, chassant cette mine peu rassurée qu’il arborait, il se lança, de manière un peu gauche. « Ca te va bien, la robe. » Bien, il n’avait pas bégayé, c’était un bon début ! Mais le gros de la soirée les attendait encore, tandis qu’il suivait le pas et qu’il pénétrait à l’intérieur du restaurant.

Il avait déjà eu l’occasion de regarder la décoration à travers la vitre, mais resta néanmoins béat, sur le pas de la porte, devant l’ambiance, la fine musique qui s’échappait des hauts parleurs planqués, de l’odeur de pain frais et d’une sauce, qui émanait de la cuisine. Il renifla un peu les senteurs, le nez dans les airs, avant de se faire indiquer une table par un homme trop bien habillé. Age regardait dans toutes les directions, curieux et quelque peu impressionné. Il fit une fixette sur les différents couverts, ne savant pas pourquoi il y en avait autant. C’était si l’on faisait tomber son couteau ? Age déroula son écharpe, qu’il posa sur son dossier, comme le fit Sora. Il remonta les manches de son t-shirt, s’installant plus ou moins tranquillement. Un menu sauvage apparut dans ses mains, alors qu’Age n’avait même pas vu l’aller-retour du serveur, qu’il remercia d’un geste de la tête, encore en train d’enregistrer les nouvelles informations. « Alors, il y a quelque chose qui te tente ? » Le chat leva la tête de sa carte, échappant un « euuuuh » qui ressemblait à un ‘au-secours, je suis perdu’. Il reporta son attention sur la carte, pour relever le nez, tout de suite. « Je comprends pas la moitié de ce qui est écrit. » Devait-il y aller au hasard et prendre un plat qui lui inspirait confiance ? Casey avait dit qu’il pouvait demander l’aide du serveur, mais si Age se lançait, il l’interrogerait sur toute la carte, ce qui n’était pas pour le mieux.

Age retourna à sa lecture, avant d’abandonner à la deuxième ligne. « Tu aurais un plat à me conseiller ? » Sora se débrouillerait mieux que lui, et elle saurait ce que ces noms de plats étranges étaient, n’est-ce pas ? Il inspira, pour se calmer un peu et finalement, s’appuya sur le dossier de sa chaise. C’était sans compter sur le professionnalisme du serveur, qui était déjà de retour. « Prendrez-vous un apéritif ? » Et Age posa ses grands yeux de chats sur Sora, se demandant ce qu’était un apéritif.

« Ca te va bien, la robe. » Sora adressa un grand sourire amusé à Age. Qui aurait cru que le chat tenterait un compliment ? D'un autre côté, c'était vrai qu'elle ne l'avait pas habituée à ce genre de tenue. Depuis cette deuxième malédiction, elle enfilait sans y réfléchir des pantalons autant pour y être à l'aise que pour être prête à n'importe quelle éventualité. Alors toutes les robes et les jupes que la coiffeuse affectionnait tant étaient remisées au fond du placard, à attendre qu'elle se décide à les enfiler. « N'est-ce pas ? », renchérit-elle. Elle ne savait pas s'il s'était attendu à ce qu'elle trouve un compliment à lui adresser ou même à ce qu'elle le remercie, mais elle était d'humeur joueuse et décontenancer le félin semblait une bonne façon de passer le temps. Ils ne s'attardèrent pas plus longtemps dehors et, dès qu'ils furent entré, elle comprit qu'elle avait fait le bon choix. De toute évidence le monde de la gastronomie était un territoire inconnu pour Age. Elle lui serra un peu le coude comme il se mettait à renifler l'air sous l'oeil perplexe de leur serveur. Il aurait le temps d'identifier les senteurs quand ils seraient seuls à table. Ce qui ne tarda pas à arriver d'ailleurs. Elle ne manqua pas le regard désespéré que le chat adressa à leurs couverts. Elle-même trouvait que ce détail en particulier frôlait le ridicule : ils venaient tous du monde des contes, à quoi bon s'enquiquiner avec des coutumes qui n'étaient pas les leurs ? Mais ça faisait partie des faux semblants dans lesquels tout le monde à Storybrooke semblaient se réfugier. Qui était-elle avec son salon de coiffure pour se moquer ?

« Tu aurais un plat à me conseiller ? » Elle haussa un sourcil. Les noms n'étaient pas aussi compliqués qu'ils l'étaient dans certains restaurants. Pourtant elle aurait dû réagir plus vite : un chat ne recevait surement pas d'éducation culinaire. Elle s'apprêtait à prodiguer un conseil quand le serveur -quel rapide- réapparu. Elle commanda un verre de vin blanc avant de se tourner vers Age. Le pauvre faisait presque pitié à voir tellement il semblait perdu. L'asiatique aurait peut être dû le briefer un minimum avant de l'entraîner dans cette aventure. Mais cela n'aurait pas été aussi amusant. « Tu veux quelque chose à boire ? »

Une fois le serveur reparti, la maudite s'empara avec douceur mais fermeté d'un côté du menu de son compagnon. Puis elle lui montra diverses entrées susceptibles de lui plaire du bout des doigts tout en lui expliquant ce que c'était. « Tu as des salades, des soupes. Là c'est à base de saumon. Il y a aussi des sardines, du pâté de lapin et des escargots. » Puis elle passa aux plats avec la même patience, essayant de lui décrire au mieux les différentes viandes et poissons qu'elle reconnaissait pour qu'il puisse faire son choix sans regret. « Si tu veux vraiment un conseil, quoique tu prennes essaie de garder de l'appétit pour un dessert. Tu ne peux pas imaginer à quelle point les pâtisseries françaises sont bonnes. » S'étant elle même décidée, elle regarda le félin débattre de ses options avec une étincelle de malice dans les yeux. Pour une fois depuis qu'ils se connaissaient, c'était elle la plus à l'aise des deux et elle le savourait.

Age découvrait un tout autre monde. Comme s’il n’avait déjà pas assez à faire par se familiariser avec les manies des humains, maintenant, il était plongé dans un univers qui avait ses propres codes – il n’y avait qu’à voir le nombre de couverts ! - qui le perturbaient plus que de raison. Dans un moment d’égarement, il attrapa la lueur amusée dans les yeux de Sora et il mit de côté, un instant, son orgueil de chat. Était-ce si grave s’il donnait dans le ridicule, si, vraisemblablement, ça changeait les idées du lapin ? Alors, il tenta de se décontracter. Malheureusement la carte atterris entre ses mains, soulevant un nouveau voile d’inconnu et d’incompréhension. Suivi, de peu, par cette étrange chose, qu’était l’apéritif. « Tu veux quelque chose à boire ? » Oh ! Sa mine s’illumina, pendant qu’il réfléchit rapidement à ce qu’il prendrait. Est-ce qu’il prendrait de l’alcool, comme Sora ? Age se tourna vers le serveur, demandant simplement un coca-cola, se disant que s’il devait faire des folies, il les garderait pour plus tard. L’homme de table s’en alla et Age retourna sur son premier souci : la carte. Il écouta attentivement les conseils de sa partenaire d’un soir, ne pouvant retenir une œillade étonnée en entendant parler de lapin. Est-ce que Sora lui conseillait vraiment de manger du lapin ? La chair de sa chair ? Il zieuta à nouveau la carte, et fronça les sourcils. « Tu me proposes du lapin ? Mais… » Il resta sur la fin de sa phrase, gêné de ne pouvoir le dire dans un endroit publique.

Le temps passait, et finalement, sous les bons conseils de Sora – un dessert, compris – il fit son choix pour de la soupe de poisson en entrée (quoi d’autre) puis une assiette de canard. Tout pour faire le plaisir d’un animal tel que lui. « J’aurais jamais cru que la cuisine française proposait autant de choix… familier. » Oui, une fois passée la barrière des titres des plats, tout paraissait plus simple. Même s’il ignorait tout, encore, des saveurs des sauves, de l’ingéniosité des compositions et accompagnement. Savoir qu’il aurait du poisson et du canard – coucou Casey – dans son assiette le rassura un tantinet. Les boissons arrivèrent et les choix pour le repas furent échanger. Bien vite, ils étaient à nouveau seules autour de la table. Age appuya son coude sur la table, prenant appui sur celui-ci pour observer un peu plus discrètement l’environnement. « Tu fais souvent ça, sortir dans les restaurants ? » Il l’avait constaté, il y a peu : il ignorait beaucoup de choses sur la vie de Sora, en elle-même. Elle était coiffeuse maudite, n’aimait pas la compagnie des autres, ou le prétendait, mais elle n’avait jamais vraiment rejeté Age, pas depuis leur premier verre/cocktail chez Granny. Est-ce que ça voulait dire qu’elle l’appréciait, si elle acceptait qu’il soit son cavalier d’un soir ?

« Tu me proposes du lapin ? Mais… » Sora haussa un sourcil surpris mais aussi un peu menaçant. C'était un détail auquel elle ne pensait jamais. Personnellement, elle ne mangeait pas de lapin : c'était une sorte de réflexe instinctif. En revanche il ne lui serait jamais venu à l'esprit d'interdire à quiconque dans son entourage de le faire. Elle avait suffisamment répéter au félin qu'elle n'était pas un rongeur pour qu'il n'affiche pas cette mine choquée. Et puis il n'espérait tout de même pas lui faire croire qu'il n'avait jamais chassé le lièvre auparavant, non ? Heureusement, Age décida de ne pas s'étendre sur le sujet. Une part d'elle lui fut reconnaissante de ne pas aborder ce petit secret dans un endroit aussi public que celui-ci. Ils en revinrent à discuter des possibilités qu'offraient le menu jusqu'à ce que le jeune homme fasse un choix. Poisson et canard, pas vraiment surprenant pour un matou. On ne changeait pas les valeurs sures, hein ? Sora avait quand à elle opter pour une salade de chèvre chaud en entrée et un magret de canard à la sauce au miel en plat principal. Le volatile était décidément à l'honneur ce soir. « J’aurais jamais cru que la cuisine française proposait autant de choix… familier. » C'est vrai que le dépaysement était tout de même limité. Elle aurait peut être mieux fait de l'emmener dans un japonais... D'un autre côté, elle voulait s'amuser, pas traumatiser son squatteur occasionnel. Elle eut un petit haussement d'épaules. « Le plus dur c'est de se familiariser avec le nom des plats. Ils ne sont pas toujours très... explicites. Après ça va tout seul. »

Les entrées firent vite leurs apparitions, au plus grand soulagement de Sora. Elle n'avait jamais été dans ce restaurant en particulier, elle ne savait donc pas quel temps prenait le service. Apparemment il était rapide et efficace, ce qui n'était pas le cas partout. Un "bon appétit" plus tard et la coiffeuse entamait son repas avec un enthousiasme maîtrisé. Enfin de la vrai nourriture à se mettre sous la dent ! Bon, autant pour le cliché sur les rongeurs, mais elle n'était pas vraiment fondue de salade. Ok, elle appréciait ça une fois de temps en temps. Non, le véritable élément qui avait motivé son choix était la présence de toast de chèvre chaud. « Tu fais souvent ça, sortir dans les restaurants ? » La japonaise bien élevée qu'elle était ouvrit la bouche pour reprendre Age sur sa posture mais elle la referma aussitôt. De là où il venait seuls les grands seigneurs faisaient attention à ce genre de détail et la maudite se fichait bien d'où le félin mettait ses coudes. Sa question en revanche, c'était une autre paire de manche. Pensive, elle fixa une famille qui mangeait à quelques tables de la leur, se remémorant le nombre de fois que la petite japonaise avait passé une telle soirée en compagnie de ses parents, ses amis du lycée ou son petit ami. « Oui et non. J'en ai le souvenir mais je n'ai jamais dû réellement mettre les pieds dans un restaurant avant ce soir. » Elle cligna des yeux, reportant son regard sur son compagnon, le sourire sur ses lèvres un poil trop brillant pour être tout à fait spontané. Elle était venue se changer les idées, pas se remémorer qu'une partie de celle qu'elle était aujourd'hui n'était que du vent. « Dis moi plutôt comment est ta soupe. Ça te plait ? »

Finalement, le restaurant n’était pas si étrange que ça. S’il y avait des monsieurs qui tournaient autour des tables pour s’assurer que les clients avaient tout ce qu’ils désiraient, ainsi qu’un nombre de couverts trop élevé, cela fonctionnait comme chez le Granny. Une carte, de la nourriture, et un estomac bien rempli sur la fin. En tant que chat, il n’avait jamais eu réellement besoin de s’inquiéter de toute la phase de préparation d’un repas. Il se servait dans ce qu’il trouvait et chez sa sorcière, c’était cette dernière qui s’occupait des plats. Même aujourd’hui, Age ne toucherait à aucun instrument de cuisine, bien incapable de comprendre une recette et de survivre aux plaques chauffantes. Et les entrées ne tardèrent guère à arriver, ce qui surprit quelque peu le félin d’être servi aussi rapidement, ce qui l’encouragea à tenter un coup d’œil vers les cuisines, sans réussir à apercevoir le lieu où la magie opérait. Même s’il n’y avait pas vraiment de magie, seulement des messieurs et des madames en blanc, qui maniaient couteaux et autre instruments. Puis, alléché par l’odeur, il n’eut pas vraiment envie de se glisser dans l’arrière-boutique pour voir ce qu’il se passait.

Il reconnaissait le fumet du poisson, sans mal. Il y avait de la crème, et des épices, certainement. Qu’il ne connaissait pas, mais le mélange des saveurs effaçait ce petit soucis. Ça sentait bon, et il s’empara da la cuillère. « Bon appétit » murmura-t-il, avant de se servir et de gouter. Une fois la soupe chaude en bouche, il prit une expression étonnée. Ses pupilles se dilatèrent et il sentit le ronronnement monté. Il l’arrêta dans sa gorge, ce disant que ce n’était ni le lieu, ni la compagnie pour faire ressortir son côté félin. « Mais je n'ai jamais dû réellement mettre les pieds dans un restaurant avant ce soir. » Age quitta sa délicieuse soupe du regard, penchant brièvement la tête sur le côté. « Ca veut dire que c’est aussi une première fois pour toi ? » Il parut trop enjoué à cette idée, heureux de ne pas être le seul dans l’étape de la découverte, même si Sora se basait sur des faux souvenirs. Ce qui était le cas de presque tous les habitants de cette ville, après tout. « Dis moi plutôt comment est ta soupe. Ça te plait ? » Il but encore, vite fait, deux cuillères, avant de répondre. « Oui ! C’est super bon. » Il avait presque des étoiles dans les yeux, ce chat. « Tu apprendras à en faire ? » D’où venait cette question ? Est-ce que ça voulait dire qu’il avait l’intention de passer, à l’avenir ?

Son côté boule de poils se moquait bien de ce que ça soulevait. Il voulait juste savoir s’il aurait l’occasion de la gouter encore, sans devoir revenir ici. Puis, si Sora en faisait toute une casserole, et non une pauvre assiette, ça serait le paradis, pour lui. D’ailleurs, il l’avait presque fini, en un temps record, chat gourmand. « Et toi, ta chèvre est bonne ? En tout cas, elle sent bon. » Oui, il n’avait pas vraiment besoin de la gouter, pour en deviner la délicatesse. C’était un peu comme ça, dans tout le restaurant. Le chat n’aurait qu’à se concentrer pour capter l’essence des plats des clients. Mais il ne le ferait pas immédiatement, trop occupé avec sa soupe de poisson.

Une première fois ? Quand bien même c'était le cas, il n'y avait pas de quoi sourire d'un air aussi satisfait. Pour autant qu'elle le sache, son expérience certes fictives était la seule chose qui avait permis à ce sac à puces de savoir ce qu'il commandait. « Crois moi, ça ne ressemble pas à une première fois. » Après un haussement d'épaules détaché, elle retourna à sa salade avec un coup de fourchette peut être plus violent que nécessaire. De combien d'autres premières fois la Méchante Reine l'avait dépouillée ? Toutes ses expériences qu'elle pensait avoir effectuée d'elle même alors qu'elle n'avait jamais eu lieu. Elle n'y avait jamais pensé, trop concentrée à détruire toutes les affections qu'elle avait pu développé. Gérer le fait que son petit ami et ses parents ne soient pas réel avait été un traumatisme suffisant. Elle ne voulait pas y penser. Sora était venue pour savourer un bon repas et c'est ce qu'elle ferait. Il y avait encore en elle assez de la vagabonde pour qu'elle réussisse à mettre les sujets sensibles de côté et continuer le temps d'une soirée à prétendre être quelqu'un à qui tout cela n'était jamais arrivé. Ce qui était plus ou moins le cas, ce qui était bien le centre du problème. Mais soit, passons.

L'enthousiasme forcé avec lequel elle changea de sujet trouva un écho bien plus spontané chez Age. Lequel était de toute évidence en train de se régaler, purement et simplement. Elle n'était pas la seule à apprécier son entrée. « Tu apprendras à en faire ? » La coiffeuse manqua d'avaler de travers et, dès que l'incident fut écarté, éclata de rire. Ce matou ne doutait vraiment de rien. La seule fois qu'elle avait essayé de cuisiner quelque chose d'un peu sophistiqué, elle avait manqué d'empoisonner le pauvre Yuuto. « A part les desserts, tout le monde est unanime pour dire que ma cuisine est infecte. Tu ne veux pas y goûter. » Puis ses yeux s’étrécirent comme elle penchait la tête sur le côté. « Mais si tu tiens tant que ça à regoûter à cette soupe, tu peux apprendre à le faire, toi. Il me semble qu'ils proposent un atelier cuisine deux fois par semaine... » Ça le changerait surement de fouiller les poubelles. Puis ça ne pouvait pas lui faire de mal d'apprendre un peu la façon de faire des humains, non ? Souriant à l'idée de ce que donnerait un Age aux fourneaux, elle prit deux petites gorgées de son verre de vin avant de se réattaquer à son assiette. « C'est une valeur sure, avec moi, le chèvre. »

Elle laissa le silence s'installer pour un moment, se contentant de remplir son estomac. Puis la curiosité repointa son museau et elle ne vit pas de bonne raison pour y résister. « Qu'est-ce que tu deviens ? Toujours à attendrir les habitants pour dormir à droite, à gauche ? » Ça faisait effectivement un bon moment qu'elle n'avait pas eu à s'énerver sur un chat qui s'était infiltré en douce dans son appartement. Pas que ça lui manque, au contraire.

Age sentit la tension chez le lapin. Il avait retenu sa leçon des précédentes discussions avec Sora et ne chercha pas à comprendre d’où vint ce léger écart, cette fausse note qu’il devinait. Jusqu’ici, ils avaient passé un bon moment, le chat ne voulait pas tout ruiner à cause de sa curiosité qui allait partout, surtout qui s’intéressait aux sujets sensibles. Il avait bien compris que tout ce qui était rapport avec la malédiction, ces souvenirs préconçus, étaient douloureux, d’une manière ou d’un autre, pour la coiffeuse. C’était tout ce qu’il avait besoin de savoir. Après tout, pourquoi s’attarder sur ce qui n’avait jamais existé ? Ainsi, quand vint le changement de sujet, le félin ne put que sauter dessus, d’autant plus que sa soupe était délicieuse, ravissant les papilles du chat. Le goût était tellement différent des poissons qu’il chipait au port, tôt le matin, même si toute la saveur était préservée. Ce restaurant n’était pas une si mauvaise idée que ça, après tout. « Tu peux apprendre à le faire, toi. Il me semble qu'ils proposent un atelier cuisine deux fois par semaine... » Le chat en lâcha sa cuillère un peu brusquement, regardant Sora avec des yeux paniqués. Lui, faire la cuisine ? C’était un chat, il n’y avait aucune chance qu’il y arrive. « Tu veux que j’aille y mettre la pagaille, c’est ça ? » Il était sceptique. Il ne s’imaginait pas jouer avec le feu et les ingrédients. Surtout qu’il trouvait tout bon, à cause de son passé de chat. Il n’était pas certain de réussir suivant les attentes de celui qui donnerait ces courts. Même s’il avait un bon odorat. Et puis, à qui irait-il faire à manger ?

Restant encore dubitatif sur la proposition, qui tournait, tournait, dans la tête d’Age, Sora amena un nouveau sujet. « Qu'est-ce que tu deviens ? Toujours à attendrir les habitants pour dormir à droite, à gauche ? » Sa légère panique s’arrêta et il regarda Sora avec ses yeux de chats, ce trait espiègle dans le fond de ses iris, un petit sourire sur le coin des lèvres. C’était comme ça, il ne pouvait pas s’en empêcher, dès que le lapin présentait une pointe d’intérêt pour lui, il se sentait tout fier. Instinct de chat… « Non. Enfin, si, parfois, parce que j’aime ça. J’ai dû y prendre goût. » Rien de tel que les câlins d’un enfant, plus qu’heureux d’avoir un animal de compagnie pour un soir. Et il était toujours extrêmement gâté quand il se faisait passer pour un pauvre animal. C’était agréable, il ne pouvait pas vraiment s’en passer. Même s’il ne faisait plus ça qu’à de rares occasions. « J’ai trouvé un appartement ! » Oui, il était extrêmement enjoué de sa nouvelle situation. Et encore plus de pouvoir l’annoncer avec Sora. C’est vrai qu’il appréciait squatter chez elle, mais avoir son chez-lui ne lui était pas arrivé depuis qu’il avait quitté la chaumière de sa sorcière. « J’habite avec la fée des dents. Mais je pique pas le canapé. Je paie la moitié du loyer ! » Eh oui, il en tirait une certaine fierté, d’arriver à vivre comme les hommes, à se fondre dans la masse, à ne plus être un chat de gouttière. « Tu viendras voir ? Ca ressemble un peu à un débarras pour le moment, faut qu’on décore. »

La panique qu'elle lut dans les grands yeux du chat prit Sora par surprise. Elle n'avait jamais vu Age si en proie au doute et, jusque là, elle doutait même qu'il puisse le ressentir à un tel niveau. Quelle idée effrayante pouvait-il bien concevoir sur les fourneaux ? « Tu veux que j’aille y mettre la pagaille, c’est ça ? » Il se payait sa tête, c'était obligé. Pitié, que quelqu'un vienne lui dire qu'il se payait sa tête. Comme s'il avait hésité juste une seconde avant de "foutre la pagaille" dans sa petite vie à elle ! Sans parler de son appartement qui, elle tenait à le souligner, n'était pas un squat. Non mais franchement, elle aurait tout entendu. Elle essaya de se calmer pour analyser les choses un peu plus objectivement. Peut être avait-il simplement peur de ne pas être à la hauteur. « Pourquoi tu y mettrais la pagaille ? Si tu te contentes de faire au mieux ce que les chefs te disent, tu pourrais réussir un super plat. Si tu n'as jamais essayé, tu ne peux pas savoir. » Après tout, disney avait sorti un film sur un rat capable de tenir un restaurant étoilé, pourquoi un chat ne pourrait-il pas en faire autant ? Surtout que ce félin là semblait en voie de prendre goût à la cuisine de qualité. Et si Sora pouvait bénéficier d'un ou deux plats faits gratuitement en souvenir de cette nuit où elle l'avait gracieusement accueillie chez elle alors qu'il dégoulinait sus son paillasson, elle ne disait pas non.

En parlant de cette légère tendance à s'incruster chez les gens, il était temps pour la coiffeuse de demander au matou où il en était dans sa vie. « J’ai trouvé un appartement ! » Sora reposa sa fourchette dans son assiette -presque vide- sous le coup de la surprise. Elle avait du mal à appréhender que le chat vagabond qui refusait toute attache se soit finalement trouvé un petit chez lui. Encore plus une colocation. Et... La fée des dents existait vraiment ? Personne n'aurait pu lui dire avant ? Elle grimaça à la pensée de toutes les dents qu'elle avait négligemment jeté par dessus son épaule sur les routes du monde des contes. Dire qu'elle aurait pu gagner une pièce pour chacune d'entre elle : quel gâchis ! Elle laissa tomber l'idée -de toute façon elle ne pouvait plus rien y faire- pour se concentrer sur le fait que Age payait son loyer. Vraiment, il acceptait cette responsabilité mais avait peur de s'essayer à la cuisine ? C'était pour le moins paradoxal. « Tu ne préfères pas attendre avant de me montrer ? Ce n'est pas encore vraiment ton chez toi si tu n'as pas décoré... » Loin de vouloir sciemment tempérer l'enthousiasme de son compagnon, mais elle ne voyait pas franchement l'intérêt de visiter un "débarras". Du moins pas avant qu'il n'ait été un poil rangé et aménager. Elle sourit malicieusement avant de continuer. « Et puis si tu veux que je vienne, il va falloir que tu saches me préparer un bon dîner. » Elle n'abandonnerait pas si facilement l'idée d'un Age cuisto.