"Ne surestime pas trop ton pouvoir Harley, tu es très direct et mignonne mais il en faut quand même un peu plus pour me faire faire une crise cardiaque qu’un bisou sur la joue…Surtout vu le traitement de choc que tu m’as administré à mon arrivée…"

Une lueur joueuse se baladait dans son regard malgré la rougeur qui s’installait sur ses joues. Il avait vraiment dit ce qu’il venait de dire là ? D’un coup, il eut l’impression d’avoir été quelqu’un d’autre pendant les quelques secondes qui ont suffi à dire cette phrase. Après l’intervention de la mère Watson, Drake s’éloigna une minute à peine, le temps de prévenir sa mère et quand il revint vers Harley, il sentit très vite que l’ambiance avait subtilement changée. Il ne saurait trop dire pourquoi, mais le regard que lui lançait Harley parlait pour elle. Il venait de faire une gaffe quelque part et il ne savait même pas laquelle. Il le sentit bien dans sa posture, son regard, la façon dont elle prononça son "je vois"…Ouch. S’il partait déjà mal ça n’allait pas le faire. Pas du tout. Déjà que quand elle était de bonne humeur elle semblait vouloir lui en faire baver juste pour le tester, alors si elle était de mauvaise humeur, qui sait ce dont elle serait capable. Il refusa cependant de se stresser de trop pour ça. Il ne savait même pas ce qu’il avait fait pour récolter sa mauvaise humeur alors bon.

La suite lui fit clairement comprendre qu’elle lui en voulait et qu’elle ne l’aiderait pas à trouver comment se sortir indemne de ce dîner avec sa mère. Il prenait note. Il nota d’ailleurs le coup du « ma mère est intéressante donc pas de science » et donc que les sciences étaient inintéressantes. Il faillit bouder pour le coup. Si elle ne le trouvait pas intéressant alors pourquoi elle perdait encore son temps avec lui au juste ? Si ce n’était que parce qu’elle s’ennuyait et qu’il servait de jouet du moment, il préfèrerait encore partir tout de suite et oublier toute cette histoire. Il n’a pas signé pour participer au diner de cons non plus, merci bien. Cependant elle sembla se radoucir par la suite, lui proposant encore une fois quelque chose qui aurait eu le don de le faire rougir s’il n’était pas un poil vexé. Oui, lui aussi pouvait se vexer qu’est-ce qu’elle croyait ? Qu’il n’était qu’une petite chose fragile, presque fantomatique, tout juste bonne à se faire frapper par des brutes épaisses et à rougir pour pas grand-chose ? Dans ce cas elle se trompait fortement. Il avait sa propre personnalité, une riche qui plus est, il suffisait juste de ne pas le rabaisser à tout bout de champ. Enfin bref. Toujours est-il que le contact qu’elle lui offrit fut rassurant, même si la perspective de se retrouver seul avec elle dans sa chambre laissait la porte ouverte à beaucoup de choses qu’il préférait ne pas imaginer. Pas sûr qu’il en soit capable de toute façon, vu qu’elle avait réussi à le surprendre jusque-là.

"Je te suis dans ce cas." Dit-il en resserrant sa main sur celle de sa camarade.

Drake ne rendait pas les choses faciles. Mais Harley n’avait après tout pas signé pour la simplicité. Elle aurait du s’y attendre, malgré qu’il soit venu à elle en lui demandant son aide, il était prompt à fuir à la première difficulté. Newlin pouvait bien être le meilleur de sa classe, il n’en restait pas moins un homme, et les hommes n’étaient qu’un amoncellement de faiblesses en puissance. « Ne surestime pas trop ton pouvoir Harley, tu es très directe et mignonne mais il en faut quand même un peu plus pour me faire faire une crise cardiaque qu’un bisou sur la joue… » Harley pinça des lèvres, un peu déçue. Elle ne faisait que plaisanter, mais elle avait le retour de bâton qu’elle méritait. « Surtout vu le traitement de choc que tu m’as administré à mon arrivée… » Cette fois-ci, ses lèvres s’étirèrent, alors que le souvenir du baiser qu’elle avait volé à son condisciple se frayait un chemin dans son esprit. Et si Harley prit assez mal le peu d’attention que lui accorda ensuite Drake, elle se consola néanmoins en se repassant en boucle le ravissant contact des lèvres du jeune homme sur les siennes. Elle baissa un instant la tête, fixant ses prunelles grises sur un point indéterminé du carrelage. Harley n’était pas facile à troubler, mais cette fois-ci elle était parvenue à se troubler elle-même. Alors que Drake était occupé au téléphone et que sa mère gardait sagement sa place aux fourneaux, Harley se surprit à porter un doigt à ses lèvres. Elle les caressa brièvement, se remémorant le touché doux et surprenant, tandis que la sensation particulière qui l’avait étreinte se rappelait à son bon souvenir.

Lorsque son élève de fortune revint à elle, Harley ne lui montra aucune clémence. Était-ce la manque d’intérêt qu'il lui avait accordé ou le vestige du baiser partagé qui parlait? Harley n’aurait pas su le dire elle-même, mais elle avait envie de faire mal à Drake. Même si ce n’était qu’une infime et insignifiante attaque, elle avait besoin de le remettre à sa place. Ce n’était pas normal qu’il se permette de l’émouvoir ainsi alors qu’il n’avait rien fait ni rien demandé. Harley sentait le besoin irrépressible de chasser le baiser de son esprit. Il n’avait pas sa place dans son cerveau, ni dans cette vie. Et lorsqu’elle l’eut balayé, la rouquine se radoucit sensiblement. Elle proposa même à Drake de rechercher la tranquillité dans sa chambre, et poussa le vice jusqu’à lui prendre la main. Elle le considéra alors avec bienveillance, et ce qui se rapprochait le plus d’une forme de tendresse trôna sur son visage. « Je te suis dans ce cas. »

Harley esquissa un sourire, tandis que la main de son camarade serra la sienne. Et elle ne perdit pas une minute de plus en bavardage, rejoignant déjà la large entrée de la demeure Watson pour emprunter les escaliers qui menaient à l’étage. Elle monta tranquillement, jetant un coup d’œil à Drake sans lui lâcher la main pour lui accorder un sourire rassurant. Elle ne souhaitait pas lui mettre la pression, ce n’était qu’une chambre à ses yeux, mais étant donné le peu de relations qu’avait pu entretenir le jeune Newlin, elle se doutait bien que ça n’avait pas la même implication pour lui. Elle poussa distraitement la porte de sa chambre, et ne lâcha la main de Drake qu’après avoir refermé derrière lui, pour être certaine qu’il ne fuirait pas à nouveau. Harley aimait à dire que sa chambre se trouvait dans un état de bordel organisé même si, pour son condisciple, ce ne serait qu’un pur et simple chantier. Elle tourna un regard franc vers lui, pas perturbée le moins du monde en avouant : « Je n’ai pas eu le temps de ranger. » Tant qu’il restait un minimum de place pour circuler, Harley ne voyait pas l’intérêt de passer des heures à déplacer son fouillis. Et comme elle refusait catégoriquement que la femme de ménage s’immisce dans son domaine privé, il ne restait guère de solution à cet état de chaos perpétuel. Elle tira la chaise de son bureau en faisant signe à Drake de s’y installer, tandis qu’elle-même opta pour son lit douillet. Elle s’assit avant de se pencher pour défaire les attaches de ses chaussures crème, puis les retira pour s’installer en tailleur sur le matelas. Elle riva ensuite un regard brillant sur Drake. « Alors, c’est décidé, il faudra que je passe voir l’un de tes entraînements de gym. » Catégorique, elle ne laissait plus guère de choix au jeune homme, hormis peut-être lorsqu’elle ajouta avec entrain : « J’arriverais sûrement à élaborer quelques plans pour t’aider à sortir de ta coquille après t’avoir vu en action, mais il faudrait que j’en sache plus sur toi d’une manière générale… » Elle ouvrit de grands yeux pleins d’attention, tandis qu’elle délaissait sa position pour s’allonger sur le lit, posant les coudes sur son matelas et le menton dans ses paumes. Elle n’attendait plus qu’une chose : que le Newlin introverti se dévoile à elle.

Dire que sa mère se plaignait du bordel ambiant dans sa chambre…Elle devrait voir la chambre de Harley, Drake était sûr que ça lui ferait relativiser les choses. Il eut un moment d’arrêt dans l’encadrement de la porte, cherchant une logique à ce bordel. Car parfois il y en avait une, malgré les apparences. Mais ici, il n’en voyait aucune. Absolument aucune. Il du bien rester cinq bonnes secondes à observer cette chambre avant d’y entrer sur l’ordre de sa camarade. D’accord…Nouvelle mission : trouver comment accéder à la chaise de bureau sans rien déranger et sans marche sur rien du tout. Il croisa les doigts mentalement pour que Harley ne soit pas du genre à laisser trainer ses sous-vêtements partout. Il ne manquerait plus qu’il marche sur un article de lingerie…Là, il serait probable qu’il fasse un malaise pur et simple. Finalement, en faisant preuve d’agilité à la limite de la contorsion il atteint la chaise sans encombre et se posa dessus, s’amusant pendant un moment à faire tourner la chaise en observant la chambre, spacieuse malgré son encombrement, qui se trouvait autour de lui.

Drake reporta cependant son attention sur Harley en l’entendant lui adresser à nouveau la parole, lui assurant qu’elle viendrait le voir à un entrainement. Ah…Oui…Ce fameux entrainement où il devrait lui présenter ses coéquipiers imaginaires. Rien que la notion qu’il lui avait menti, même par omission, était quelque chose qu’il avait du mal à appréhender pour le moment. D’un côté, il ne lui devait rien (pour l’instant), mais d’un autre elle l’aidait alors…Lui mentir était quelque peu…Dommage non ? Enfin, il préféra ne rien dire et fixa son regard sur un objet quelconque de la chambre – ce n’est pas comme si il avait l’embarras du choix – en l’écoutant continuer. Une suite qui lui fit tourner vivement la tête vers elle. En savoir plus sur lui ? Sérieusement ? C’était bien la première fois que quelqu’un de son âge voulait en savoir plus sur lui. Qu’est-ce qu’il devait dire au juste ? Ses hobbies, ses habitudes, ses passions… ? Sincèrement, il ne le savait pas. Comment était-il sensé se présenter face à quelqu’un comme ça ? Pas sûr qu’il arrive à faire quelque chose de concluant, mais qui ne tente rien n’a rien.

"Eh bien…Je vis seul avec ma mère. J’aime bien les séries de science-fiction et les sciences en général. J’adore lire aussi. Je lis un peu de tout, je suis plutôt curieux de nature, alors pour peu que quelque chose attire mon œil je peux tenter de lire. J’ai un job à mi-temps à la librairie Pentwood et…Je suis une horreur en matière de relation humaine, mais ça tu dois déjà le savoir…" il eut un petit rire amer puis repris, un soupir dans la voix "Je ne sais pas trop par quoi commencer où même quoi te dire en général. Qu’est-ce que tu voudrais savoir ? Qu’est-ce qui t’aiderait à ‘élaborer ton plan d’action’ au juste ?"

Oui, si elle lui posait des questions ça serait déjà plus simple, son esprit serait dirigé dans une certaine direction, il pourrait plus facilement retrouver dans son esprit des informations en rapport qui pourrait aider Harley. Pour le moment, c’est comme si on demandait à quelqu’un de deviner un mot au hasard sans aucun indice…

Newlin n’avait aucune intention de cacher sa surprise face au spectacle navrant que lui offrait la chambre de la jeune Watson. Cette dernière fit mine de ne rien remarquer, se lançant avec la plus grande simplicité dans le récit de ses intentions. Drake la dévorait du regard, et Harley aimait ça, se sentir écoutée et regardée. Son camarade marquait des points, mais ce n’était pas encore suffisant pour la satisfaire. Il en fallait toujours plus à la rouquine, qui prenait déjà une position significative pour écouter le monologue que n’allait pas tarder à lui faire son élève. Et ça n’y manqua pas, Harley n’eut qu’à ouvrir grand les oreilles et à river ses prunelles grises et vertes sur le visage de Drake.

« Eh bien…Je vis seul avec ma mère. J’aime bien les séries de science-fiction et les sciences en général. J’adore lire aussi. Je lis un peu de tout, je suis plutôt curieux de nature, alors pour peu que quelque chose attire mon œil je peux tenter de lire. J’ai un job à mi-temps à la librairie Pentwood et…Je suis une horreur en matière de relation humaine, mais ça tu dois déjà le savoir… » Harley nota l’amertume dans le rire de son condisciple, mais elle ne le coupa pas. « Je ne sais pas trop par quoi commencer où même quoi te dire en général. Qu’est-ce que tu voudrais savoir ? Qu’est-ce qui t’aiderait à ‘élaborer ton plan d’action’ au juste ? » Il se débrouillait pourtant très bien. Il avait déjà donné des informations capitales à Harley qui, parfaitement curieuse, ne pouvait déjà pas s’empêcher de réagir sur ce qu’il venait de lui donner.

« Je ne savais pas que tu bossais à la librairie. » Elle fit une grimace qui n’avait pas besoin d’éclaircissements, pourtant elle s’évertua à les faire. « Ca doit être d’un ennui mortel. Mais enfin, ta mère doit être fière de toi. » Elle ne pouvait que supposer. La fierté d’une mère ou d’un père était un concept très flou pour la jeune Watson, dont les parents montraient rarement leurs sentiments. Quelque part, elle enviait Newlin, mais il aurait été pathétique de fouiller davantage cette partie-là de son esprit. Elle avait beau le trouver attachant, sa sincérité la faisant étonnement vibrer, il restait un peu trop désespérant pour qu’elle troque volontiers sa vie contre la sienne. Etre une Watson n’était peut-être pas tous les jours une franche partie de rigolade, Harley y trouvait largement son compte. Pauvre petit bonhomme qui n’avait guère que sa famille pour le soutenir : tout le contraire de la rouquine en somme. Harley et Drake étaient réellement très loin de vivre le même quotidien, mais ils étaient aujourd’hui alliés, pour le meilleur et pour le pire.

« Tu sais, les relations humains, c’est comme tout, ça s’apprend, même s’il y a des personnes naturellement plus douées que d’autres à l’origine. » Elle se garda bien de préciser, qu’en effet, Drake était loin d’avoir des compétences innées en la matière. « C’est pour ça que je suis là après tout. » Un sourire vint peindre ses lèvres, avant qu’elle n’ajoute dans un soudain élan de lucidité : « Est-ce que tu es plus à l’aise avec les adultes ? Ou lorsque tu peux parler de choses qui t’intéressent, comme les bouquins et la gym ? » Si elle venait de poser des questions, elle laissa à peine le temps à son camarade de répliquer. « Peut-être qu’il faudrait creuser là pour... » Harley était en plein processus créatif, mais sa mère ne semblait pas décidée à laisser libre court à son art. Sa voix résonna depuis le salon au rez de chaussée : « C’est prêt ! » Et l’idée d’Harley s’était déjà évaporée. Si elle lui revenait à l’occasion, elle en ferait certainement part à Drake. Pour l’instant, elle se redressa sur son lit et se mit debout. Elle invita d’un signe de main son camarade à retrouver un chemin décent parmi son foutoir et à la précéder jusqu’au salon, où la femme Watson se ferait une joie de conduire celui qu’elle pensait être le petit ami de sa fille jusqu’à la salle à manger.

Sa mère trouvait ça bien qu’il ait envie de se trouver un petit boulot, elle espérait juste que ça ne l’empêcherait pas de bien faire ses devoirs. Qu’elle ne s’inquiète pas pour ça, Drake n’était pas vendeur. De conseiller à la rigueur, quand il arrivait à se sortir du rangement et du classement des bouquins. Sinon, lors des après-midi particulièrement calmes il investissait l’arrière-boutique pour avancer sur ses devoirs. Donc dans tous les cas il était gagnant. Parfois il lui arrivait de conseiller, sérieusement, des gens pour choisir des livres à offrir. Mais cela restait assez rare. Ca ne l’étonnait même pas que Harley puisse penser son travail ennuyeux. C’est vrai qu’il y avait plus actif et plus passionnant comme job que de ranger des bouquins toute la journée mais ça lui convenait à lui. C’était calme, ça lui permettait de découvrir de très bons bouquins parfois et au moins, il pouvait le faire sans risquer de créer un incident diplomatique avec un client. Comme quoi, il y a toujours un job qui convient.

Elle laissa une légère pause planer avant de reprendre, commentant son petit monologue. Il haussa un sourcil, l’air de dire "comme toi ?" avec un sourire amusé au visage. Pour toute sa timidité verbale, son visage exprimait plutôt bien ce qu’il pensait. Cet expressionnisme lui était venu à force d’observer en silence ses camarades. S’exprimer sans être entendu était quelque chose de très pratique. Car s’il n’était pas si timide, Drake serait un vrai moulin à parole. Il avait énormément à dire mais n’avait juste pas l’assurance pour le faire ; tout comme il avait une sacré répartie en vérité, sauf qu’à force de se prendre baffe ou pire quand il l’utilisait, il la gardait pour lui, ravalant régulièrement des notes acides qui en auraient pourtant fait rire plus d’un. Si ces gens avaient été plus nombreux, il aurait volontiers laissé libre cours à sa langue piquante qui, si elle la découvrait, ne manquerait probablement pas de plaire à la jeune Watson.

La question qui suivit fut particulièrement pertinente et Drake prit un instant pour y réfléchir. Il réalisa qu’en fait, l’âge importait peu, c’était plus une question de maturité. Certains enfant de onze ans avaient plus de maturité que des ados de dix-sept ans donc bon…Ca relativise les choses. Mais elle n’avait pas tort, une fois lancé sur un sujet qui l’intéressait et qu’il connaissait, il était déjà bien plus à l’aise, parce qu’il savait de quoi il parlait, il savait ce qu’il fallait dire, savait qu’on aurait bien du mal à le piéger sur ces sujets. Alors forcément il se sentait à l’aise. Il allait d’ailleurs donner sa petite analyse à Harley, mais cette dernière ne semblait pas avoir fini alors il referma la bouche et l’écouta avant de se crisper légèrement. Se faire appeler par la mère Watson lui rappelait pourquoi il était encore là. Un dîner avec au moins la mère de Harley. Au secours tous aux abris…Il déglutit et se leva, précédant sa camarade jusqu’au salon où il vit madame Watson mais pas monsieur. La question sortit de sa bouche avant qu’il ne réalise ce qu’il disait.

"Mr Watson ne dîne pas avec nous ?"

C’est ça, creuse ta tombe en plus Drake…

Quelque part, en un certain point de son cerveau, Harley remarqua que Drake essaya d’en placer une. Mais elle ne pouvait s’empêcher de le faire patienter, levant même un doigt à l’extrême fin de sa tirade pour s’assurer que Newlin ne la coupe pas, trop effrayée de la possibilité de laisser envoler son idée en étant obligée de se suspendre. Malheureusement pour elle, si son camarade resta étonnamment attentif et indulgent, sa mère trouva le moyen de la couper en criant depuis le rez-de-chaussée. Une chance pour Drake, sans doute, puisqu’il fut épargner par l’engouement d’Harley, la rouquine se levant rapidement pour le laisser la précéder. Elle emboita silencieusement le pas de son camarade et élève à ses heures, et se plaça distraitement derrière lui lorsqu’ils arrivèrent dans le salon. A sa manière, Harley tentait de laisser Drake se débrouiller seul. Et si elle n’avait pas l’intention de le laisser livrer à lui-même durant tout le repas, elle voulait au moins voir dans un premier temps ce que le jeune homme avait dans le ventre. Dès qu’elle aurait pu se faire une idée assez claire sur la question, nul doute qu’elle reprendrait la main et tâcherait de lui faire passer un bon moment malgré tout, quitte à le protéger bec et ongles des assauts de sa génitrice si elle s’acharnait.

« Mr Watson ne dîne pas avec nous ? » Les paupières d’Harley se figèrent, laissant ses yeux s’écarquiller trop abondamment. Elle n’en revenait pas de la question de son camarade. Bien sûr, il ne pouvait pas se douter de l’étendue du pavé qu’il jetait dans la mare, mais il n’allait décidément pas marquer des points avec Mme Watson de cette façon. D’ailleurs, les lèvres de cette dernière se pincèrent et sa mâchoire se crispa de manière presque insoupçonnable. Si la moue de la femme restait invisible à un œil néophyte comme celui de Drake, Harley ne pouvait pas y échapper. Elle glissa sa main dans celle de son camarade, tout en se pressant contre lui, et en l’incitant déjà à avancer jusqu’à la salle à manger. « Il travaille tard, passons-vite à table. » C’était serré, mais Harley avait réussi à sauver de justesse son condisciple de la fureur sourde de sa mère. La femme n’aimait pas s’étendre sur les absences de son mari, car elle n’était pas plus dupe qu’Harley. Et ce n’était pas parce qu’elle s’était trouvée un amant que le cas Watson était réglé, ç’aurait été trop simple. Le triste spectacle que donnait à voir ses parents étaient l’une des raisons qui avait décidé Harley à fuir les sentiments amoureux, ou simplement affectifs, comme la peste.

La femme ne les suivit pas immédiatement, laissant aux lycéens une longueur d’avance. En arrivant dans la salle à manger, Harley vit que sa mère avait fait les choses bien, la table était déjà mise, et quelques plats d’amuse-gueule étaient servis. Harley tira une chaise pour Drake et l’invita à s’installer avec un sourire affable, inversant les rôles habituellement dévolus à leur sexe respectif. Elle s’installa à ses côtés, laissant sa mère s’installer seule de l’autre côté de la table pouvant facilement accueillir jusqu’à 8 couverts. Elle se tourna ensuite vers Drake afin de profiter du temps qu’ils leur restaient encore seuls, s’exprimant à mi-voix : « Mieux vaut que tu ne parles plus de mon père pour la soirée. Notre situation familiale est assez critique, alors finalement mieux vaut que tu n’abordes pas du tout le sujet. » Harley n’avait pas le temps d’entrer dans les détails, mais elle espérait que Drake comprenne qu’il avait commis une bourde, et qu’il valait mieux pour lui qu’il suive à la lettre son conseil.

La femme entra finalement, et s’installa face à eux. Désignant d’un geste généreux les plats déjà disposés au milieu de la table, elle ne s’attarda pas sur la question du jeune homme, que sa fille lui avait admirablement bien permis d’éluder : « Je vous en prie, servez-vous. » Elle parlait avant tout à Drake, même si Harley profita de la proposition bienvenue pour prendre un toast de caviar dans le plat le plus proche d’elle. Elle commença à grignoter, laissant Drake entreprendre les hostilités avec sa génitrice, afin de sonder ses capacités.

Ahem…Il avait dit un truc qu’il ne fallait pas là, n’est-ce pas ? Drake, ou le gaffeur professionnel sans même le vouloir. Lui qui voulait juste tenter de faire la conversation, le voilà bien mal parti. Il aurait peut-être dû commencer avec un commentaire sur le dernier papier d’un astrophysicien quelconque, ça aurait probablement mieux fonctionné que cette question semblant pourtant anodine. Il faut croire qu’il était ce que l’on appelait un chat noir, ces gens qui n’ont aucune chance d’aucune sorte. Lui, il était un chat noir des sujets à éviter. Dès qu’il y avait un sujet à ne pas aborder, Drake faisait mouche à chaque fois ; certaines personnes avaient fini par croire qu’il le faisait exprès, juste pour être cruel afin de se venger de ceux qui le martyrisaient au lycée. Alors que ça n’avait rien à voir. Drake était juste un malchanceux chronique. Il déglutit face à la réalisation de sa bourde et se laissa volontiers guider dans la salle à manger par sa camarade. Là, il fut soufflé par la grandeur de la table. Pas simplement par les dimensions de cette dernière (bien qu’impressionnantes en soi), mais par la richesse qui découlait de cette table. De nombreux plats étaient disposés dessus, faisant trainer les yeux du gymnaste d’un bout à l’autre de la table dans le faible espoir d’arriver à tout voir et surtout d’arriver à se décider. Le jour où ils pourraient faire une table pareille, hors des anniversaires, avec sa mère, les poules auront des dents. Le jeune homme s’assit comme indiqué par sa camarade et laissa échapper un rire nerveux.

"Vu le changement d’atmosphère étant passé de normal à glacial en une micro-seconde chrono, j’avais deviné…"

Malgré les mots utilisés, son ton disait clairement qu’il était nerveux, et rien d’autre. Incroyablement nerveux. Il avait toujours été un type simple, sans chichis et sans trente mille façons de faire quelque chose (sauf en matière de chimie alors là il s’éclate), alors se retrouver ici dans cette immense villa à dîner avec la mère d’une de ses camarade de classe et la dite camarade faisait parties des situations extrêmement intimidantes dans l’esprit du jeune homme. Il observa la mère Watson s’installer sans en avoir l’air et fit comme on le lui indiquait. Ou tenta du moins. Parce que la moitié des amuse-gueules présentés lui étaient totalement inconnus ; alors il en prit un dont la tête lui disait quelque chose de mordit presque timidement dedans. Il n’était pas difficile comme garçon d’un point de vue nourriture, seulement il avait peur de tomber sur un truc qu’il n’aime pas (vu le nombre de truc improbables mais semblant délicieux que présentait cette table, sait-on jamais) et donc quelque part d’offenser son hôte. Ce qui était la chose à éviter après sa bourde de tout à l’heure. Ca semblait être aux crevettes. Okay. On est cool. C’est safe les crevettes. Finissant son amuse-gueule tranquillement il retenta une approche plus neutre que le domaine familial.

"C’est délicieux Mme Watson. Si je puis me permettre, vous travaillez dans quel domaine ?"
"Je suis avocate d'affaire. Spécialisée dans les divorces. Et toi, à quoi te destines-tu plus tard?"
La question le pris de cours. Il eut un temps d'arrêt.
"Euh...Je ne sais pas exactement. Les sciences probablement."

Il y avait des tics de langage qu’il devait faire attention à ne pas laisser sortir en présence de la mère Watson, mais autrement, s’il en restait à des sujets bateaux et safe comme le travail, les cours et des trucs simples…La soirée devrait plutôt bien se passer.